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Moyen Orient et Monde - Éclairage

Rien ne va plus entre l’Arabie saoudite et la Turquie

L’offensive saoudienne contre le soft power turc a pour but de rassurer ses alliés, mais les deux puissances sunnites ne devraient pas aller vers l’escalade, leurs priorités étant ailleurs.

Affiche d’une série turque à grand succès dans le monde arabe, « Harim al-Sultan ». Le groupe audiovisuel saoudien MBC a cessé début mars de diffuser sur toutes ses chaînes les séries télévisées turques, sur fond de turbulences dans les relations entre Ankara et plusieurs pays arabes. Photo d’illustration AFP

La bataille se poursuit pour le leadership du monde sunnite. L’annonce, en début de semaine, par le puissant groupe télévisé saoudien MBC de la déprogrammation de l’ensemble des séries turques diffusées a provoqué des réactions virulentes à Ankara. Le ministre turc de la Culture, Numan Kurtulmus, a fustigé cette décision, estimant mardi qu’il n’appartenait pas à « trois politiciens assis autour d’une table de décider quels programmes les gens peuvent regarder. Cette époque-là est révolue depuis longtemps ». Le groupe audiovisuel a pour sa part justifié sa décision par une volonté de promouvoir « des productions arabes de grande qualité qui incarnent les valeurs et les traditions de la région ». Une volonté interprétée par les autorités turques comme une attaque politique contre le soft power d’Ankara qui donne une large place à ces séries, comme l’explique à L’Orient-Le Jour Jean Marcou, professeur à l’IEP de Grenoble : « La Turquie est devenue le second exportateur mondial de séries télévisées au monde, après les États-Unis […] dans le monde musulman en particulier, et leur succès tient au fait qu’elles véhiculent l’image d’une vie contemporaine ouverte mais conservant des liens forts avec la société et la culture traditionnelles. » 

Cette offensive saoudienne, est à remettre dans le contexte de ce qui est, selon Didier Billion, directeur adjoint de l’IRIS contacté par L’OLJ, « une véritable dégradation des relations » depuis le rapprochement raté des années 2015-2016. Un rapprochement initié par la Turquie qui « avait surpris tout le monde en lançant une offensive de charme en direction de l’Arabie saoudite », selon Jean Marcou. Ce rapprochement, qui avait vu le président Erdogan approuver l’engagement saoudien au Yémen et critiquer vertement l’Iran, était favorisé par la stratégie commune des acteurs en Syrie, dont l’objectif était d’affaiblir le régime de Bachar el-Assad. Cependant, au fur et à mesure que la défaite militaire du régime syrien, soutenu par les Russes était devenue de plus en plus improbable, les priorités des deux puissances sunnites ont divergé : là où les Saoudiens privilégient le containment de l’Iran, la Turquie négocie à Astana le règlement du conflit syrien avec la Russie et l’Iran. La rupture s’est accentuée au moment de la crise qatarie, il y a un an. Alors que Riyad regroupait les États sunnites pour mettre son voisin au pas, « la Turquie, qui avait cru pouvoir jouer les arbitres au départ, a dû finalement voler au secours de son allié qatari », explique Jean Marcou. 


(Pour mémoire : Erdogan dénonce « Harim el-Sultan »)


« Triangle du mal » 

Comme un symbole de la montée des tensions, ces derniers mois ont été l’objet d’une escalade verbale entre les alliés des Saoudiens et les Turcs, notamment sur Twitter où le ministre de Affaires étrangères des Émirats arabes unis a retweeté un message reprochant aux « ancêtres d’Erdogan , le transport des reliques sacrées de Médine à Istanbul. La riposte du président turc n’avait pas tardé, ce dernier accusant le ministre émirati d’être « trop gâté par le pétrole et l’argent ».

L’objectif des Saoudiens n’est pas tant de frapper durement les Turcs, mais de « de resserrer ses liens dans son propre camp avec ses alliés arabes », selon Jean Marcou, en particulier l’Égypte, où le régime du président Abdel Fattah al-Sissi, soutenu financièrement par Riyad depuis son arrivée au pouvoir en 2013, lutte farouchement contre les Frères musulmans, soutenus par M. Erdogan. Ce coup porté au soft power turc, qui concorde avec la visite du prince héritier Mohammad ben Salmane en Égypte est donc un moyen de rassurer Le Caire quant à la solidité de son alliance en prenant un peu plus ses distances avec M. Erdogan, qui n’hésite pas à qualifier le président égyptien de « putschiste » et de « tyran ». Dans une interview accordée au journal al-Chorouk lors de sa visite en Égypte, MBS a estimé que la Turquie faisait partie du « triangle du mal », avec l’Iran et les groupes islamistes. Un qualificatif qui montre que le fossé entre les deux aspirants au leadership dans le monde sunnite ne cesse de se creuser, alors que Riyad, Abou Dhabi et Le Caire s’opposent sur de nombreux sujets régionaux à l’axe Ankara-Doha.

En s’opposant à M. Erdogan qui manie agressivement et sans complexe la rhétorique de l’islam politique, les Saoudiens soignent, par contraste, leur image en Occident. « Ni Erdogan ni l’Iran ne cachent leurs idées au sujet de l’union de la religion et de l’État, en accentuant le contraste sur ce point, l’Arabie saoudite peut se présenter comme le centre d’un islam modéré, et de ce fait attirer les investisseurs étrangers », explique à L’OLJ Katarina Salomé, chercheuse à l’Institut des États du Golfe arabe à Washington.


(Lire aussi : La déprogrammation de séries turques, symptôme des tensions entre Ankara et Riyad


Le prince et le sultan 

L’offensive saoudienne reste néanmoins mesurée. En s’en prenant aux séries TV, Riyad attaque un outil de soft power, certes prestigieux, mais qui a perdu beaucoup de son lustre. En effet, selon Didier Billion, « depuis les échecs politiques et diplomatiques turcs, les séries TV ont perdu l’impact qu’elles avaient avant les révoltes arabes de 2011 ». Une offensive, donc, surtout symbolique, servant à envoyer un message de distanciation vis-à-vis d’une Turquie qui agace par ses prises de position offensives. Dernier exemple en date : la question du transfert de l’ambassade américaine à Jérusalem, où M. Erdogan était à l’avant-garde de la protestation alors que les Saoudiens privilégiaient une approche moins frontale. Une différence de points de vue qui a vu les Turcs mener une offensive rhétorique et diplomatique, notamment en convoquant un sommet spécial de l’OCI pour en faire leur tribune sur la question pendant que les Saoudiens protestaient a minima et n’envoyaient qu’une délégation de rang subalterne pour répondre à la convocation d’Erdogan. 

Si les conditions d’une escalade paraissent réunies, elle ne devrait cependant pas avoir lieu. Chacune des deux puissances a en effet des préoccupations plus urgentes que d’avoir un nouvel ennemi. La priorité régionale saoudienne reste de contenir l’Iran. Parmi les fronts qui l’opposent à la puissance chiite, le plus brûlant est le Yémen, où l’armée saoudienne est embourbée. La Turquie est pour sa part concentrée sur son offensive contre les Kurdes à Afrine. La querelle entre le prince et le sultan ne devrait pas dépasser ce stade, mais « pourrait, à moyen terme, si la Turquie retrouve un rayonnement politique et diplomatique, devenir un point chaud », estime Didier Billion.


Pour mémoire

« Harim el-Sultan », « Game of Thrones » ou « Homeland » : quand les séries TV bouleversent l’univers politique

Ankara et Téhéran au secours de Doha

La bataille se poursuit pour le leadership du monde sunnite. L’annonce, en début de semaine, par le puissant groupe télévisé saoudien MBC de la déprogrammation de l’ensemble des séries turques diffusées a provoqué des réactions virulentes à Ankara. Le ministre turc de la Culture, Numan Kurtulmus, a fustigé cette décision, estimant mardi qu’il n’appartenait pas à « trois...

commentaires (3)

Ça part toujours du même schéma, 2 alliés de l'occident se tirent dans les pattes . Un combat de coq auquel assiste cet occident amusé et moqueur et manipulateur de leurs sottises . Si on avait eu une situation où on aurait eu une confrontation entre 2 FORCES du bloc de la résistance, que n'aurait on entendu dire ? C'est ainsi que le monde va , ou tu montres patte blanche et tu reçois toutes les claques qui te seront destinées, ou tu resistes et on te fera une guerre sans merci . L'arrogance a des pattes très courtes .

FRIK-A-FRAK

12 h 04, le 10 mars 2018

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Commentaires (3)

  • Ça part toujours du même schéma, 2 alliés de l'occident se tirent dans les pattes . Un combat de coq auquel assiste cet occident amusé et moqueur et manipulateur de leurs sottises . Si on avait eu une situation où on aurait eu une confrontation entre 2 FORCES du bloc de la résistance, que n'aurait on entendu dire ? C'est ainsi que le monde va , ou tu montres patte blanche et tu reçois toutes les claques qui te seront destinées, ou tu resistes et on te fera une guerre sans merci . L'arrogance a des pattes très courtes .

    FRIK-A-FRAK

    12 h 04, le 10 mars 2018

  • Dans mon commentaire précédant: Lire Poutine à la place de Mouton Merci

    Sarkis Serge Tateossian

    10 h 01, le 10 mars 2018

  • Le micro sultan ottoman, utilise contre l'Europe la force de la nuisance pour obtenir tout ce dont il a besoin.... Tant qu'avec l'Orient il utilisait jusque-là la ruse de la manière douce, l'audiovisuelle, les communiqués flattant le "nationalisme" musulman avec des thèmes génériques mais efficaces, comme la Palestine, Jérusalem etc... Au fond une chose intéresse la Turquie ! Prendre le leaderships du monde musulman pour mieux faire chanter l'Europe et l'Occident, et massacrer allègrement les kurdes dans l'indifférence du monde musulman et du monde tout court. Seul souci....les saoudiens et le monde arabe ne sont pas dupes et ne comptent en aucun cas contribuer au rétablissement dune ridicule entité ottomane ...qui semble fasciner le micro sultan Erdogan, patron des "frères musulmans" Seul gagnant pour le moment de ce maillon faible (la Turquie) parmi les acteurs dans la région est Mouton, qui sait se servir du tartuffe.

    Sarkis Serge Tateossian

    02 h 47, le 10 mars 2018

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