Le moment le plus attendu depuis plusieurs mois est enfin arrivé : la période préélectorale. Une étape où tous les jeux sont permis. Les paris sont placés au fur et à mesure, les chevaux de course sont bien toilettés, les portraits bien accrochés, les sourires blanchis, le passé effacé et le train à grande vitesse lancé. Toutes les stations télévisées deviennent tout à coup complices. Les programmes se font et se défont au gré du principe de l’offre et de la demande, et Dieu sait à quel point la demande est à la hausse! Le public, qui n’apprend pas de ses erreurs et qui ne s’ennuie pas d’écouter à la chaîne des discours médiocres recyclés et vidés de tout sens, demande à être servi encore une fois du même plat, sachant pertinemment pourtant à quel point il a refroidi.
L’offre ne se fait donc pas attendre... D’une salle de classe avec des enfants s’appropriant les idées des grands et répétant des questions importantes, à un nouveau programme qui nous invite à prendre place dans la voiture du politicien pour aller prendre un café avec lui, en passant par les talk-shows classiques, tout cela semble étrangement servir la même mission : rendre les différents candidats accessibles, faire en sorte que l’électeur puisse éventuellement s’identifier et, surtout, montrer des personnes divertissantes avec, naturellement, en objectif ultime, booster l’audimat et sortir la télévision de sa longue période d’hibernation. Le politicien devant la caméra a une femme, des enfants, fait du sport, écoute de la musique, conduit une voiture, il est même pris dans les bouchons de la capitale et fait les courses, même s’il ne connaît pas le prix des denrées de base. Il se montre sympathique, ou du moins non détestable, jeune, moderne, ouvre le bouton de sa chemise pour afficher un air décontracté, se laisse prendre en photo et sourit à la caméra et au public. Les candidats ne se font pas la guerre, tout le monde s’aime, ils sont reçus ensemble sur les plateaux télévisés et se retrouvent souvent pour trinquer plus tard en soirée.
Leurs programmes électoraux ? On s’en fiche ! Tout le monde sait d’avance qui sont les stars et les vedettes ! Le spectacle gentiment orchestré par les télés ne nous réserve aucune surprise ; aucune émission de vrai débat et de remise en question politique ne verra le jour. Ou bien elle passera gentiment dans les créneaux les moins regardés... C’est un open bar de démagogie, où le public pourra s’abreuver jusqu’à l’ivresse. L’électeur, dont les proches sont à l’étranger en train de peiner pour envoyer de l’argent à la fin de chaque mois, est bizarrement toujours charmé par ces interventions télévisées. Il les applaudit, envoie un tweet d’encouragement en direct à son candidat préféré, tout en conduisant sa voiture payée grâce à un troisième crédit près des décharges improvisées et en esquivant de justesse un motard réfugié avec trois autres personnes sur sa motocyclette devant un gendarme garé sur le trottoir d’un restaurant de fast-food, un sandwich à la main. Le pays s’écroule, les services publics sont dynamités, la corruption a rongé la moelle épinière de l’État, aucune crise n’a été résolue, et les émissions de plus en plus superficielles s’enchaînent dans la plus grande irresponsabilité. Aucune émission, aucun stratagème, aucun maquillage, aucune mise en scène, aucun slogan, aucun programme, aucun(e) journaliste aussi charmants soient-ils, même s’ils ont captivé des centaines de milliers d’hommes et de femmes, n’a le droit de nous ramener à la case départ. Nous devons changer, voir plus loin, en dehors des scènes de téléréalité jetées en appât à des téléspectateurs de plus en plus naïfs. Soyons vigilants ; pas seulement féministes ou militants, ou, pire encore, populistes. Pour construire un État, nous avons besoin d’hommes et de femmes d’État : des professionnels, des bûcheurs, des incorruptibles qui se sentent probablement mal à l’aise face à la caméra. Des personnalités moins prétentieuses et plus efficaces, moins mégalomanes et plus humbles, et empathiques. Des personnes qui agissent plus et parlent moins et mieux, mais pas nécessairement de belles promesses ou de belles paroles. Les belles paroles ne sont pas toujours vraies et les vraies paroles ne sont pas toujours belles.
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En effet, ces élections sont comme les jeux du cirque à la romaine: on lance à la plèbe un divertissement collectif, on leur crée des champions de l’arène publique vides de sens, mais avec lesquels ils s’identifient, s’enivrent de leurs stupidités et slogans creux, sans réaliser même la portée de cette kermesse sur leur vie de tous les jours ni leur avenir... Des livres entiers ont été écrits sur la psychologie des masses, et comment avec un peu de charisme et de démagogie, on peut leur faire avaler n’importe quoi, les fanatiser et leur faire avaler toutes les sornettes... Chassez le naturel, il revient au galop et on n’a finalement que le gouvernement qu’on mérite! Faut-il désespérer d’un changement pour autant? Peut-être pas, mais ça pourrait prendre encore des décennies.
Saliba Nouhad
22 h 59, le 07 avril 2018