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Liban - Patrimoine en péril

Les immeubles Dergham de la rue Monnot échappent à la destruction... pour le moment

L’immeuble jaune du complexe Dergham, un bijou architectural des années 30. Photo tirée de la page Facebook Save Beirut Heritage

La rue Monnot pourrait-elle perdre les derniers immeubles qui font son charme? Telle est la question angoissante que les amoureux de ce magnifique quartier beyrouthin se posent depuis qu’ils ont appris, il y a quelques jours, que les trois bâtisses historiques du complexe Dergham pourraient bientôt succomber à l’avidité d’un promoteur immobilier pressé de faire ériger une énième tour. La décision hier du mohafez de Beyrouth, Ziad Chbib, de geler le démantèlement des bâtiments n’aurait sans doute pas été prise sans l’alerte donnée par L’Orient-Le Jour dans un article datant du 1er juin. Mais elle n’a pas réussi à calmer les esprits, puisque ces habitations risquent à tout moment d’être rasées, étant donné qu’elles ont récemment été déclassées de la liste des bâtiments à préserver par le ministre sortant de la Culture, Ghattas Khoury.

C’est à la suite d’une plainte déposée hier matin par l’Association pour la protection du patrimoine libanais (APPL) et l’ONG Save Beirut Heritage que le mohafez de Beyrouth a décidé d’arrêter la démolition qui avait commencé le week-end dernier, sans pour autant préciser la durée pour laquelle les travaux seraient gelés, ce qui constitue une menace supplémentaire pour les bâtiments concernés. Interrogé par L’OLJ, Naji Raji, président de Save Beirut Heritage, est sceptique quant à l’efficacité de cette mesure. « C’est juste un gain de temps pour que le public oublie l’affaire et qu’on puisse ensuite procéder tranquillement à la démolition. Tout est déjà décidé d’avance», estime-t-il. «Cela va se terminer comme le cas mystérieux de l’immeuble Medawar 651 à Gemmayzé, qui a été démoli “par accident” en mars 2017. Le style de démolition et d’assassinat employé aujourd’hui à Monnot est le même », met-il en garde. « Comment se fait-il que le propriétaire actuel, un Irakien, n’ait pas les moyens de rénover les bâtiments mais qu’il ait de l’argent pour construire une tour à la place, dans cette rue historique ? » se demande M. Raji.

« Le gel des travaux a abouti pour le moment, mais les bâtiments ne sont nullement protégés car cette mesure est temporaire », explique pour sa part Antoine Atallah, architecte urbaniste et vice-président de Save Beirut Heritage, qui estime que le répit offert par la décision du mohafez peut s’étaler sur une dizaine de jours au maximum. C’est donc une course contre la montre qui s’impose...

Situées à l’angle des rues Monnot et Abdel Wahab el-Inglizi, à Achrafieh, les habitations de la parcelle immobilière 1231, deux immeubles datant du mandat français et une maison d’une période antérieure, avaient été placées sur la liste des bâtiments à préserver par l’ancien ministre de la Culture, Rony Araygi (décret n°116/2016). Sauf que le ministre sortant, Ghattas Khoury, a déclassé ce lot il y a un mois à la lumière d’une nouvelle expertise, qui affirme que les bâtiments ne présentent pas d’intérêt architectural et constituent un danger public.


Une vidéo sur l'immeuble Dergham, tirée de nos archives


Immeuble novateur et balcons filants
 « Nous allons présenter un recours au Conseil d’État contre la décision de M. Khoury de déclassifier les bâtiments, prévient Antoine Atallah. Comment expliquer que des experts de la Direction générale des antiquités (DGA) aient affirmé dans une étude commanditée par M. Araygi que les bâtiments avaient un intérêt historique et que nous ayons aujourd’hui une contre-expertise faite par des personnes qui ne sont pas de la DGA et qui affirment le contraire? Je ne comprends pas comment ces bâtisses ont tout à coup cessé d’avoir un intérêt patrimonial et pourquoi une nouvelle expertise a été faite, alors qu’il y en avait déjà une. » 

« Un autre argument présenté par le ministère de la Culture est que les immeubles menacent de s’effondrer. Or, ils étaient habités jusqu’en 2011 et n’ont été vidés que pour être démolis », constate M. Atallah qui appelle à l’adoption de la loi pour la protection du patrimoine votée par le gouvernement fin 2017 mais qui attend toujours d’être validée par le Parlement. Un des immeubles, le plus grand et de couleur jaune, qui fait le coin face au restaurant L’Entrecôte, a une particularité architecturale peu évoquée, selon M. Atallah. « Dans les années 30, date de l’édification de ce bâtiment, les immeubles étaient dotés d’un seul appartement par étage. Or, cet immeuble-là est l’un des premiers à comporter plusieurs appartements par étage, sachant que les habitations multirésidentielles étaient très rares à l’époque », explique l’architecte. Des immeubles comme celui-là, il en subsiste un seul, de couleur rose, dans le quartier Mar Mikhaël, en face de l’escalier Vendôme. Un troisième immeuble (Fakhri) présentant les mêmes caractéristiques a existé à Saïfi avant d’être démoli il y a une dizaine d’années, selon Antoine Atallah.

« L’immeuble jaune du complexe Dergham possède des balcons filants qui font le tour de sa façade, une particularité qui ne sera à la mode qu’à l’époque moderne et qui donne donc au bâtiment un côté novateur. Étant donné que cet immeuble fait le coin, il définit le paysage du quartier. S’il est démoli, tout le caractère de la rue sera changé. Il appartient à un tissu urbain qui doit être préservé, il y a des morceaux de vie qu’il faut préserver », conclut M. Atallah.



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commentaires (3)

Depuis le debut de son mandat ,avec promptitude , M. GH. Khoury n'a rien d'autre à faire que de DECLASSER sans aucune base de justification SAUF ...

aliosha

13 h 38, le 05 juin 2018

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Commentaires (3)

  • Depuis le debut de son mandat ,avec promptitude , M. GH. Khoury n'a rien d'autre à faire que de DECLASSER sans aucune base de justification SAUF ...

    aliosha

    13 h 38, le 05 juin 2018

  • JE GAGE QUE LE DERNIER MOT N,EST PAS DIT ENCORE ! WALAW ON S,Y CONNAIT...

    LA LIBRE EXPRESSION

    09 h 16, le 05 juin 2018

  • Mais, Messieurs Raji et Atallah, vous prêchez à des convertis: les lecteurs de ces articles sont en général assez éduqués, nostalgiques du vieux Beyrouth au charme et beauté indéniables, attachés à ces belles demeures qui lui donnaient son attraction, qui nous rappellent cette vie culturelle et artistique qu’on y trouvait... Mais que voulez-vous, le monde change, et le dieu $ s’en fout de ces niaiseries pour personnes pédantes et prétentieuses, lorsque la poche bien remplie dépasse de loin ces petits détails culturels et insignifiants pour eux... Ces gens-là considèrent que préserver un patrimoine historique, c’est pour les octogénaires gâteux et serait le dernier de leur souci. En effet, on va gagner du temps, faire semblant, et dans quelques semaines, la tempête de protestations va s’essouffler et le projet de démolition partira de plus belle... Encore une fois, aux yeux de ces incultes, « le chien aboie et la caravane passe! »

    Saliba Nouhad

    05 h 46, le 05 juin 2018

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