Rechercher
Rechercher

Culture - Bande dessinée

« Bukra, inshallah », et tous ces visages de réfugiés syriens...

Depuis le début de la guerre en Syrie, quelque 1,5 million de réfugiés syriens sont venus s’installer au Liban. Derrière les chiffres, il y a des parcours individuels : des auteurs de bande dessinée les racontent et donnent voix au chapitre à ceux qui trop souvent sont réduits au silence.

« En attendant », une bande dessinée à dix mains par cinq artistes.

« Nous ne voulons rien ! Vous pouvez tout prendre ! Mais laissez-nous notre dignité ! »
Sur la vignette, un homme en tee-shirt rayé lève les mains en l’air : il est en train de passer un check-point de la « ceinture pauvre » de Tripoli, sans doute pour chercher du travail. Sa voix s’ajoute à celles de dizaines d’autres, principalement masculines, en tout cas syriennes, que Nour Hifaoui Fakhoury a retranscrites à travers une vingtaine de planches de bande dessinée. Réfugiés syriens, Visiteurs en exil comme elle les appelle, ils se succèdent les uns aux autres, racontant leurs histoires, depuis leur situation à Homs, Damas ou Alep jusqu’à leur départ forcé vers le Liban : Tripoli, Halba, Sir el-Denniyé, Zahlé...
Depuis 2013, l’ONG Solidarités International travaille au Liban pour soutenir les populations déplacées à cause de la crise syrienne (environ 1,5 million depuis le début de la guerre). Première actrice de la distribution d’eau dans la région, elle œuvre à installer des infrastructures sanitaires et des abris pour les réfugiés en situation précaire, tout en travaillant avec les communautés voisines. L’an dernier, elle a fait appel à cinq auteurs de bande dessinée d’origine libanaise, syrienne et française – Diala Brisly, Kamal Hakim, Lena Merhej, Lisa Mandel et Nour Hifaoui Fakhoury –, pour raconter le quotidien de ces exilés et montrer les individus derrière les chiffres.
Une BD à dix mains – en réalité bien plus, si l’on compte le travail des équipes impliquées sur place – en a été tirée, en arabe, anglais et français, dont la version numérique est disponible en ligne*. On y découvre des tranches de vie, témoignages parfois sans parole où visages et regards suffisent à transmettre les espoirs, les regrets, le désarroi ou les doutes, l’humanité surtout, de ces exilés qui deviennent soudain familiers. Bukra Inshallah, dit la version arabe – on verra bien ce qui se passera demain. En attendant (titre français), ce sont des vies en suspens, tiraillées entre le souvenir du pays perdu, les conditions difficiles de l’entre-deux libanais et l’espoir d’un retour incertain qui défilent. « La question du retour se pose de plus en plus pour les réfugiés syriens au Liban, mais il faut deux impératifs à cela : que ce soit un retour volontaire, et qu’il se passe dans de bonnes conditions », explique Caroline Bouvard, directrice de Solidarités International au Liban.
En attendant, il y a le déclassement de l’exil, le prix intenable des loyers, l’insalubrité des logements, la difficulté à trouver un emploi, la perte des papiers, les arrestations, le travail des enfants, la séparation des familles... et parfois, quelques rires, comme une échappée insouciante au milieu du désastre.
Les 30 et 31 mai, une courte exposition s’est tenue dans les locaux de Ked, à Beyrouth : y étaient présentées des planches de la bande dessinée ainsi que quelques installations, dont Rubble (Décombres), créée par Firass Hallak, Issa Kandil, Anthony Ahyoun et Joe Saadé. Installation immersive, elle fait entrer le spectateur dans ce qui semble être le labyrinthe trop obscur du périple syrien. Le visiteur avance à l’aveugle, avant de déboucher sur le spectacle d’une maison dévastée, où les gravats se mêlent aux derniers vestiges du foyer familial : la photo d’un enfant, une barrette, de vieux magazines... Reste, seule intacte, une télévision, qui diffuse comme un sarcasme des images que l’on devine être celles de la Syrie. Un peu plus loin, c’est à l’amoncellement d’affaires empaquetées à la hâte que l’on fait face. La présence matérielle, qui peut rappeler celle de la Réserve de Christian Boltanski, est saisissante, renforcée par des jeux de son, de lumière et de vibrations. Les lueurs vacillantes ne sont plus ici d’espoir et nous mettent face au dilemme irrésolu : le retour, mais pour quoi ?


*« En attendant : témoignages de réfugiés syriens au Liban », Solidarités International.
http://comics.solidarites.org/fr

« Nous ne voulons rien ! Vous pouvez tout prendre ! Mais laissez-nous notre dignité ! »Sur la vignette, un homme en tee-shirt rayé lève les mains en l’air : il est en train de passer un check-point de la « ceinture pauvre » de Tripoli, sans doute pour chercher du travail. Sa voix s’ajoute à celles de dizaines d’autres, principalement masculines, en tout cas...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut