Tard dans la soirée de lundi, un responsable américain a indiqué à l’AFP que les États-Unis « avaient des raisons de croire » qu’Israël est l’auteur des frappes nocturnes qui ont tué quelques 55 miliciens prorégime dans l’est de la Syrie, à proximité de la frontière irakienne. La source américaine démentait ainsi l’information diffusée par les médias syriens, selon laquelle la coalition internationale contre l’EI serait derrière l’attaque qui a eu lieu dans la nuit de dimanche à lundi. Venant de Washington, cette sortie ressemble moins à une tentative de faire porter le chapeau à Israël, que de lui réattribuer le crédit de l’opération. Vu l’étroitesse de la coopération entre les États-Unis et leur protégé israélien, Damas a en effet toutes les raisons de penser que cette source américaine dit vrai. Tel-Aviv a refusé de commenter les événements. Un silence israélien coutumier des lendemains de frappes.
« Pas le moindre doute : ces frappes ont toutes les caractéristiques d’un coup de semonce israélien au CGR (Corps des gardiens de la révolution iranien) », estime Nick Heras, analyste au Center for New American Security joint par L’OLJ.
A posteriori, les propos du Premier ministre israélien en Conseil des ministres, quelques heures seulement avant l’attaque, ressemble à un faire-part de guerre. « Nous agirons – nous agissons déjà – contre les efforts menés par l’Iran et ses mandataires pour établir une présence militaire en Syrie, que ce soit près de la frontière ou plus profondément en Syrie », avait averti Benjamin Netanyahu.Le Hachd al-Chaabi, une coalition de groupes paramilitaires irakiens aux composantes majoritairement pro-iraniennes, a payé le plus lourd tribut à ses frappes. Le Hachd al-Chaabi, connu aussi sous l’acronyme de UMP (Unité de mobilisation populaire), a été un supplétif efficace de l’armée irakienne pour arrêter puis repousser l’offensive de l’EI en Irak. Les derniers sanctuaires jihadistes vaincus sur le territoire national, les éléments les plus ardemment pro-iraniens et de facto pro-Assad sont passés en Syrie.
Depuis le début de l’année, le triptyque de Tel-Aviv s’est précisé : aucune place pour aucune présence militaire iranienne dans aucune partie de la Syrie. Si leur origine israélienne est effectivement avérée, les frappes d’hier sont une sorte de tournant prévisible. Israël affirmerait par ces frappes sa compréhension extensive de « présence militaire iranienne ». Le Hachd al-Chaabi est théoriquement placé sous le commandement du Premier ministre irakien, mais la relation de subordination est dans les faits très lâche. Quelles que soient la nationalité et l’affiliation officielle des forces en premières ligne, Israël frappera si l’Iran est le donneur d’ordre objectif.
« Ces frappes sont une escalade majeure. Netanyahu envoie un message à Damas et Bagdad : il y a des conséquences lourdes à leur soutien à Kassem Soleimani, le commandant des opérations extérieures du corps des gardiens de la révolution, et au CGR. Israël dit aux Iraniens qu’il n’est plus question de se cacher puisque l’armée israélienne les frappera où qu’ils soient », décrypte M. Heras. Ensuite, ces frappes élargiraient considérablement le rayon d’intervention de l’aviation israélienne en Syrie. Jusqu’à présent, la carte des frappes de l’État hébreu était focalisée sur l’ouest du territoire syrien, avec notamment deux aires ciblées : dans la zone sud frontalière avec Israël et dans la région de Damas, où sont regroupés la majorité des infrastructures iraniennes, dépôts d’armes, casernes, ou centres de recherche balistiques. Ce serait la première fois que l’aviation israélienne pousse aussi profondément à l’est du territoire syrien.
(Lire aussi : La "lettre secrète" par laquelle les présidents US protègent l'arsenal nucléaire israélien)
Travail pour deux
Israël côtoierait dans cette région son allié américain par le truchement des Forces démocratiques syrienne (FDS), une alliance arabo-kurde soutenue par la coalition internationale contre l’EI et emmenée par Washington. Deux systèmes d’alliance se font face de part et d’autre du fleuve Euphrate qui traverse la province et fait office de ligne de démarcation : les FDS à l’est, et à l’ouest les forces du régime d’Assad, appuyées par des milices étrangères plus l’aviation russe. La priorité affichée par Washington dans cette région est la lutte contre les dernières cellules de l’EI, mais elle dissimule mal une confrontation larvée entre les États-Unis et l’Iran.
Dans la nuit du mercredi 7 au 8 février dernier, la coalition avait aidé les FDS à repousser une incursion de miliciens loyalistes au-delà de l’Euphrate. La contre-attaque avait fait entre 45 et 100 morts parmi les miliciens. « Israël a le feu vert de l’administration Trump pour frapper l’Iran dans les frontières de la Syrie. Le fait est que Trump veut qu’Israël soit l’épée américaine contre les Iraniens en Syrie et au Liban. Le président Trump veut que les Israéliens fassent le travail pour les Américains et Netanyahu est plus qu’heureux de le faire pour lui », estime Nick Heras. Autrement dit, Israël ferait la police dans l’est syrien pour Washington et pour son propre compte.
Difficile de croire que le régime et ses alliés n’ont pas reconnu la signature israélienne de l’attaque, surtout avec ce qui ressemble à une mise en demeure de M. Netanyahu la veille. En attribuant la responsabilité des frappes à la coalition antijihadiste, Damas joue une prudente stratégie du déni. « Ces déclarations procurent une couverture, de telle façon qu’Assad, l’Iran et le Hezbollah ne sont pas forcés de répondre rapidement contre Israël. Des représailles entraîneraient d’autres attaques israéliennes et créeraient encore plus de problèmes pour Assad », conclut M. Heras.
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commentaires (6)
Mais pourquoi diable les tenants des Victoires divines n’attaque t ils pas Israël ou les positionna US en Syrie ?!? C’est eux qui affirment en être capable
Bery tus
18 h 38, le 20 juin 2018