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Économie - Portrait

Jacques Saadé, entrepreneur visionnaire et fondateur de CMA CGM

C’est en 1978 que Jacques Saadé a fondé la CMA, Compagnie maritime d’affrètement, avec un seul navire et une ligne reliant Marseille à l’Italie, la Syrie et le Liban.

Le fondateur franco-libanais Jacques Saadé, du groupe français CMA CGM, est décédé dimanche soir à 81 ans. Photo DR

Le fondateur franco-libanais Jacques Saadé du groupe français CMA CGM, numéro trois mondial du transport maritime par conteneurs, est décédé dimanche soir à l’âge de 81 ans.
« Visionnaire hors norme et entrepreneur unique, il avait fait de son groupe un leader mondial du transport maritime par conteneurs, n’ayant de cesse de le développer dans plus de 160 pays, tout en conservant sa dimension familiale et ses valeurs humaines », a souligné le groupe dans son communiqué annonçant le décès de M. Saadé.
Ce capitaine d’industrie avait, à l’occasion de ses 80 ans, décidé de passer le flambeau à son fils Rodolphe, en le nommant directeur général de l’empire familial, le 7 février 2017. Il lui avait confié la présidence du conseil d’administration neuf mois plus tard.

Une politique d’acquisition
C’est en 1978 que Jacques Saadé a fondé la CMA, Compagnie maritime d’affrètement, à Marseille. Mais avant de déposer ses valises dans la cité phocéenne, il s’acharnera contre la brutalité de l’histoire. Issu d’une famille syrienne de tradition chrétienne orthodoxe et diplômé de la London School of Economics (LSE), il est contraint de quitter en 1961 la Syrie après la nationalisation des terres et des biens privés pour le Liban, où il avait vu le jour 24 ans plus tôt. Sa famille, qui produisait et exportait de l’huile d’olive, du coton, de l’alcool et possédait des biens immobiliers par villages entiers en Syrie, s’était retrouvée ruinée du jour au lendemain. « Il a été très difficile de rester en Syrie, je suis parti pour Beyrouth et je m’y suis installé », avait-il confié en mars 2012 au magazine Challenges. En 1978, Jacques Saadé devra fuir la guerre civile au Liban pour protéger sa famille, en s’installant à Marseille. Il y fondera la même année la CMA, avec un seul navire et une ligne reliant Marseille à l’Italie, la Syrie et le Liban. Avec l’intime conviction du développement des échanges internationaux et du rôle moteur que prendrait le conteneur dans le transport maritime mondial, ces boîtes qu’il avait découvertes à New York lors d’un stage, Jacques Saadé posait la première pierre de ce qui allait devenir un géant du transport maritime.
Ses bateaux traversent le canal de Suez à partir de 1983. Puis, en entrepreneur visionnaire, il lance une ligne entre l’Europe du Nord et l’Asie en 1986, avant d’ouvrir en 1992 le premier bureau commercial de CMA en Chine, à Shanghai, persuadé que ce pays deviendrait l’usine du monde.
Le transport de containers fait le succès de CMA, qui mise également sur les acquisitions : il rachète la CGM (Compagnie générale maritime) dans le cadre de sa privatisation en 1996, Delmas en 2005, et CMA CGM devient à partir de 2005 le numéro trois mondial du secteur du transport maritime. Le géant du transport maritime continue de s’élargir en acquérant des compagnies à l’étranger comme la chinoise CNC, l’américaine US Lines, ou encore la marocaine Comanav. Si plusieurs autres membres de la famille Saadé – dont ses enfants Tanya, Rodolphe et Jacques – occupent des rôles-clés dans l’entreprise, le rachat de CGM crée également une brouille entre Jacques Saadé et son frère cadet Johnny, qui s’affronteront devant les tribunaux jusqu’en 2014, la justice française donnant raison à Jacques Saadé.
Cela n’affectera pas les performances du groupe, qui après une perte en 2016 avait largement renoué avec les bénéfices en 2017, dégageant 701 millions de dollars de bénéfice net pour un chiffre d’affaires de plus de 21 milliards de dollars.

Jamais loin de Beyrouth
Fait commandeur de la Légion d’honneur en 2015 et commandeur dans l’ordre du Mérite maritime en 2017, le fondateur de CMA CGM était très lié à Marseille, où le siège social, conçu par la célèbre architecte Zaha Hadid, est devenu du haut de ses 147 mètres un symbole de la ville. Le groupe fondé par Jacques Saadé, qui dessert plus de 420 ports avec 500 navires, y emploie 2 400 personnes, sur les 30 000 salariés dans le monde. « Marseille est belle et la mer ressemble un peu à celle de Beyrouth. Tous les jours, je disais aux enfants : “On repart bientôt” », avait raconté le patron au Point en 2013, dans un rare moment de confidence.
Beyrouth, de laquelle il ne s’est jamais vraiment éloigné, a été au cœur des dernières orientations stratégiques prises par CMA CGM ces dernières années. D’abord avec l’entrée dans le capital (20 %) de l’opérateur gestionnaire du terminal conteneur du port de Tripoli ou encore dans la Békaa, avec la création d’un entrepôt l’année dernière à Taanayel susceptible de jouer un rôle-clé dans la reconstruction de la Syrie. À travers la holding familiale Merit, il investit aussi dans Bank of Beirut et dans le centre commercial ABC, à hauteur de 5 %.
Le Franco-Libanais occupait la 228e place du dernier classement annuel des milliardaires du magazine Forbes, avec 7 milliards de dollars, un montant en hausse, selon le magazine. Il fut également distingué par le titre de Admiralitäts-Portugaleser (2013) l’une des plus hautes distinctions de la ville de Hambourg. Il était docteur honoris causa de l’Université américaine de Beyrouth et officier dans l’ordre du Cèdre. Jacques R. Saadé s’est aussi vu décerner en 2014 par l’Association des Chambres de commerce et d’industrie de la Méditerranée (Ascame) un prix récompensant ses actions de développement économique, d’acteur de valorisation de l’image du bassin méditerranéen, et de promotion de la paix et de la tolérance à travers le monde.


Les hommages se multiplient en France et au Liban

De nombreux hommes politiques français ont tenu hier à rendre hommage au fondateur franco-libanais de CMA CGM, Jacques Saadé, décédé dimanche. « J’ai appris avec tristesse le décès de Jacques Saadé, fondateur de @cmaCGM, entreprise familiale et fleuron français. Depuis la Chine, dont il a été l’un des premiers à anticiper l’immense potentiel, hommage à cet entrepreneur visionnaire », a réagi sur Twitter le Premier ministre français Édouard Philippe, en déplacement à Pékin. Manuel Valls, son prédécesseur, a également rendu hommage à M. Saadé, saluant « un grand industriel et un visionnaire ». Le ministre français des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian a, quant à lui, évoqué sa « grande tristesse », saluant un « entrepreneur hors pair ». Le maire de Marseille a, quant à lui, rendu hommage à « l’audace » et au « talent visionnaire » du fondateur du groupe de transport maritime. « Marseille perd l’un de ses plus prestigieux ambassadeurs et la France l’un de ses plus emblématiques porte-drapeaux économiques », a dit Jean-Claude Gaudin dans un communiqué.
Au Liban, le président de la Chambre de commerce franco-libanaise (CCFL), Gaby Tamer, a confié très ému à L’Orient-Le Jour qu’il s’agissait « d’une perte internationale ». « Jacques Saadé, qui a été à la tête de la CCFL pendant 25 ans, a toujours œuvré pour le renforcement des liens économiques entre Beyrouth et Paris. Il a d’ailleurs toujours été convié à accompagner les présidents français successifs lors de leurs visites au Liban », se souvient-il. De son côté, le président du Rassemblement des dirigeants et chefs d’entreprise libanais dans le monde (RDCL World), Fouad Zmokhol, a affirmé à L’Orient-Le Jour que « ce n’est pas le Liban qui est en deuil, mais les entrepreneurs du monde entier ». « D’une petite société, il a réussi à bâtir la compagnie leader en Europe du transport maritime par conteneurs, et la troisième dans le monde. Il a réussi à gérer de nombreux problèmes, tout reprendre en main et rebondir encore plus haut », a-t-il déclaré. « Jacques Saadé était très accessible et n’hésitait pas à conseiller les jeunes entrepreneurs libanais. Nous allons continuer à apprendre de lui », a ajouté M. Zmokhol.


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