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Liban - Social

Dans les camps de réfugiés, des clowns volontaires pour faire sourire les enfants

« On leur offre une petite bulle où ils font ce qu’ils veulent pendant un moment. Ils s’amusent et oublient le camp. » Les clowns de l’ONG britannique The Flying Seagull s’emploient à égayer le quotidien des enfants réfugiés.

De gauche à droite : Cat, Bobby, Bendik, Wolfie et Beckie terminent leur première représentation à Bourj el-Brajné. Photo Clément Di Roma

Dans les allées étroites du camp de réfugiés palestiniens de Bourj el-Brajné, au sud de Beyrouth, une troupe de clowns déambule avec ses grosses malles antiques. À l’intérieur : des accessoires, un équipement pour des tours de magie et de quoi poser un sourire sur le visage des enfants de l’une des sept écoles du camp.
« Ils sont tellement honnêtes et ouverts. Si on leur donne juste un peu de notre énergie, les enfants nous offrent énormément en retour. » Bendik est un artiste volontaire de The Flying Seagull – ou mouettes volantes – depuis maintenant trois ans. Cette organisation caritative britannique, lancée en 2017 et financée principalement par des dons privés, est indépendante. Comme la cinquantaine de volontaires clowns actifs, le Norvégien d’une trentaine d’années voyage à travers le globe, à la rencontre des enfants traumatisés, réfugiés et dans le besoin. Avec Cat, Beckie, Wolfie et Bobby, ils ont passé plusieurs semaines, depuis mai, à intervenir aux quatre coins du Liban.
Dès leur arrivée à Bourj el-Brajné, où vivent environ 25 000 réfugiés, les regards se tournent vers leurs costumes colorés, leurs grandes chaussettes, bretelles, chapeaux et sourires jusqu’aux oreilles. Une fois la porte de l’école passée, ils serrent les mains des premiers petits curieux et installent rapidement leur scène et décor : guirlandes, draps pour les coulisses, tapis pour les enfants… En quelques minutes, la salle de classe se transforme en un théâtre improvisé. Les petits visages s’éclairent quand les clowns commencent leur show. Ils se présentent chacun en murmurant pour forcer les enfants à s’exprimer, à rigoler, à prêter attention. Au programme, un spectacle simple et efficace : « On veut montrer aux enfants que ce n’est pas la peine d’être extraordinaire pour faire de grandes choses. »

« Une joie incroyable »
Dans l’établissement, une centaine d’enfants palestiniens, syriens et libanais se retrouvent toute l’année pour suivre des cours. Fadia, la coordinatrice des projets caritatifs et des nombreuses ONG qui interviennent à Bourj el-Brajné, explique qu’ils sont « habitués à voir des spectacles régulièrement, mais sont à chaque fois très heureux et ils rigolent beaucoup ».
Après un premier spectacle d’une heure, pas un seul moment de répit pour les clowns, qui enchaînent avec un autre groupe d’enfants. Pendant la représentation, de nombreux curieux, attirés par le son de la clarinette de Bendik, s’accrochent aux fenêtres du bâtiment pour profiter du spectacle. Dans leur stratégie pour amuser les plus petits, les clowns ont recours à la magie. Le Norvégien fait disparaître un mouchoir qu’il retrouve ensuite dans sa bouche ; Bobby fait apparaître des dessins dans un livre après les « abracadabras » enthousiastes des enfants ; et Beckie reconstitue un dessin déchiré. « En Occident, n’importe quel enfant de cet âge se serait lassé. Mais ici, ça les surprend et les impressionne. »
Dans leur appartement de Jéitaoui, les Flying Seagull se rassemblent autour de mana’ich au zaatar et de café avant d’entamer chaque jour leur tournée. Ils préparent minutieusement leurs costumes pour faire bonne impression devant les enfants. « Cet été, on devait se rendre dans les camps de Rohingyas au Bangladesh, mais l’accès nous était impossible et on a toujours voulu voir le Liban, il y a tellement de travail ici, affirme Bobby. On a vraiment eu trois mois de shows complets au Liban. On était d’abord proche de Tyr, puis Tripoli et enfin Beyrouth et la Békaa », où ils s’installeront pour leurs trois dernières semaines au Liban.
Les Flying Seagull ne sont pas des artistes de cirque extraordinaires, cracheurs de feu, équilibristes, funambules, dresseurs de fauves. Ils possèdent des compétences relationnelles bien plus précieuses avec les enfants : « Il faut une vie pour apprendre à interagir avec eux, les comprendre et communiquer. » Clown volontaire depuis plusieurs années, travailler avec ces enfants a complètement changé Bendik : « Il faut beaucoup d’énergie et être dans le bon état d’esprit. On voit les enfants à la fois à travers la tristesse et la cruauté, mais aussi dans une joie incroyable. »

« Ils ont aussi besoin de jouer et de s’amuser »
Pour Beckie, malgré la priorité de la survie dans les camps de réfugiés, « ils ont aussi besoin de jouer et de s’amuser, c’est très important pour leur développement ». Avec l’urgence des livraisons d’eau, de nourriture et la construction d’abris, « on oublie que les enfants doivent ensuite grandir dans ces environnements. Ils ont besoin d’un espace pour s’amuser et dépenser leur énergie d’une manière positive ».
Au Liban, d’un camp à l’autre, le profil et les traumatismes des enfants sont très variés. « Au Sud ou dans la Békaa, les enfants sont différents par rapport aux camps beyrouthins. Ils doivent travailler au lieu d’aller à l’école, ils se ferment et sont très durs à stimuler. Ils ne savent pas comment réagir aux spectacles. » Selon Beckie, la mission pour les Flying Seagull est de « leur permettre d’être de nouveau des enfants, c’est un droit pour eux ».

Prendre en charge les enfants réfugiés et rescapés

La professeure Myrna Ghannagé est chef du département de psychologie à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth. Cette doctoresse a travaillé avec les enfants rescapés des deux massacres de Cana perpétrés par Israël dans le sud du Liban, en 1996 et 2006. « Ils ne s’exprimaient pas beaucoup et certains étaient inhibés, surtout les enfants traumatisés. Ils ne peuvent pas mettre en place des mécanismes de défense opérant contre le stress. » La professeure en psychologie tient à illustrer la pluralité des situations, particulièrement pour les réfugiés de conflits. « On ne peut pas généraliser. »
Selon Myrna Ghannagé, le concept de traumatisme est très large et « n’est pas univoque, on parle surtout d’état de stress post-traumatique, mais il y a de nombreux symptômes : hyperactivité, difficultés de concentration, épisodes dépressifs, énurésie... ».
En décembre 1996, elle crée l’Association pour la protection de l’enfant de la guerre, encore active aujourd’hui, qui a effectué des suivis de courtes et longues durées. Après les bombardements, son équipe a animé des groupes thérapeutiques dans les écoles, « qui ont permis aux enfants de verbaliser leurs angoisses. Ils se sont identifiés les uns aux autres et parlaient plus facilement malgré l’inhibition, ça a très bien fonctionné ».
Pendant ces séances, les enfants se sentaient en sécurité et libres de s’exprimer : « Ils ont reproduit ce qu’ils ont vécu, on a même eu des dessins des bombardements. » Au-delà de la parole et de l’art, certains extériorisent également par le jeu, « et peuvent être très agressifs, c’est une manifestation de l’angoisse ». Pour Myrna Ghannagé, il faut un intermédiaire, « c’est-à-dire soit la discussion par le groupe, la peinture, la pâte à modeler, le jeu… » L’élément crucial de ces extériorisations reste la spontanéité : « On ne peut pas imposer de parler de la guerre. »

Dans les allées étroites du camp de réfugiés palestiniens de Bourj el-Brajné, au sud de Beyrouth, une troupe de clowns déambule avec ses grosses malles antiques. À l’intérieur : des accessoires, un équipement pour des tours de magie et de quoi poser un sourire sur le visage des enfants de l’une des sept écoles du camp. « Ils sont tellement honnêtes et ouverts. Si on leur...

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