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Liban - Patrimoine

Les explorateurs de bâtiments abandonnés au Liban...

De gauche à droite, Diala Shuhaiber et sa sœur Yasmine, ainsi que Georges, trois influenceurs sur Instagram qui se rencontrent pour la première fois pour la visite de l’hôtel Kassouf de Dhour Choueir. Photo Yohan Poncet

Sa toiture pointue en tuiles orange, qu’on pouvait apercevoir depuis la vallée, n’est plus que débris. Sa façade en pierre blanche a conservé sa beauté, mais les fenêtres et cadres en métal, fruit des efforts des maçons et forgerons de l’époque, ont été volés il y a plusieurs décennies déjà. À chaque étage, les herbes folles gagnent du terrain et poussent jusque dans ce qui fut les salles de bain, grandes suites et salles de réception somptueuses. Une atmosphère mystérieuse et chargée d’histoire plane entre ses murs épais, d’où la tapisserie s’est décollée il y a bien longtemps.

Sur les hauteurs de Dhour Choueir se dresse l’hôtel Kassouf. Pillé et bombardé pendant des décennies, ce lieu abandonné est aujourd’hui un incontournable pour les explorateurs urbains du Liban. « Visiter ces vestiges modernes nous ramène à une autre époque. » Diala Shuhaiber et Yasmine Shuhaiber Ghazal sont deux sœurs d'origine koweïtienne passionnées d’« urbex », un concept apparu dans les années 80 en Europe qui ne cesse d’attirer de nouveaux amateurs et qui se définit comme l’exploration de structures et d’édifices abandonnés. Toutes deux consultantes à Beyrouth et férues d’histoire, Diala et Yasmine écument le Liban à la recherche de bâtiments délaissés, parfois difficiles d’accès, pour les explorer et les photographier.


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Explorer un Liban oublié
Malgré un patrimoine historique dense et un nombre impressionnant de bâtisses en ruine à Beyrouth et en région, la communauté d’explorateurs a longtemps peiné à se développer au Liban. « Instagram est en train de changer les choses », explique Yasmine Shuhaiber Ghazal, propriétaire du compte @beirut.forget.me.nots sur le réseau social, où elle poste des clichés de ses endroits abandonnés favoris.


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Sa sœur, Diala, est suivie par quelque 20 000 personnes sur son compte @framewithaview. Ces deux trentenaires expliquent que les débuts de l’urbex libanais furent rudes : « L’architecture libanaise n’était ni reconnue ni populaire quand l’exploration urbaine explosait en Europe. » Aujourd’hui, des dizaines de comptes Instagram se battent pour poster sur le réseau les meilleures photos de paysages urbains délabrés. Aujourd’hui, les deux sœurs retrouvent Georges, de la page @abandoned_lebanon, au pied de l’hôtel Kassouf. Georges est né dans la région et, tout comme les deux sœurs, il se rend dans des bâtiments abandonnés depuis tout petit, avant même que le principe d’exploration n’ait été défini. Il y a deux ans, il a lancé sa page Instagram et a commencé à poster des photos quotidiennement : « Je me déplace à moto et il y a un endroit intéressant sur le trajet, tous les jours. J’adore le vintage, on sent la passion des architectes, c’est plus authentique que les bâtiments modernes. »



« On veut montrer que notre pays est magnifique »
La pratique de l’urbex n’est pas sans risque, selon Yasmine Shuhaiber Ghazal, qui met en garde contre « les planchers instables et les toitures qui s’effondrent ». Tuiles cassées, escaliers écroulés, volets brisés, trous dans les murs et carrelages de cuisine pillés… Les explorateurs basent leurs photos sur des détails saisissants et des objets qui rappellent la grande époque de l’hôtel. « C’était l’un des très grands hôtels du Liban », selon Jamil Abi Kheir, un architecte originaire de la région, qui rejoint les explorateurs au pied de la bâtisse pour raconter son histoire, ses légendes et anecdotes. Bâti en 1924, l’hôtel a vu passer les plus grands artistes libanais et fut un lieu prisé des bourgeois étrangers, notamment égyptiens, jusqu’à la guerre. Dhour Choueir s’est, dès 1976, retrouvé au centre d’un immense champ de bataille et l’hôtel fut occupé, pillé et bombardé de nombreuses fois pendant 27 ans, avant d’être finalement abandonné en 2005.
« On ne veut pas voir ce qu’est devenu le Liban, on veut se rappeler son âge d’or. » Si Georges prend des centaines de clichés chaque semaine, c’est grâce à une croyance profonde. « Le pays qu’on veut ressusciter est celui de Feyrouz, de Ziad Rahbani », affirme-t-il. Le jeune Libanais poste toujours ses photos accompagnées d’une citation des deux artistes, qui représentent un héritage libanais important selon lui. « Je tente de laisser un message pour que tout le monde se souvienne des musiques, du théâtre, des concerts... C’est une bonne chose de se remémorer notre passé. »

L’amour des vestiges du Liban n’est plus, grâce aux réseaux sociaux, réservé qu’à quelques amateurs. Yasmine Shuhaiber Ghazal observe que désormais, « des séances de photographie pour des mariés sont souvent organisées dans les ruines ». Pour sa sœur, l’outil populaire qu’est devenu Instagram est un excellent recours pour « montrer au monde entier que notre pays est magnifique, qu’il n’y a pas de guerre et qu’on ne s’y déplace pas à dos de chameau ».

La protection du patrimoine est aussi au cœur de leur démarche. « Les gens viennent et volent les derniers vestiges dans les bâtiments abandonnés, que cela soit du carrelage ou même de vieux objets. En Europe, tous les explorateurs urbains ont pour règle de ne jamais bouger ces objets et de préserver l’authenticité de l’endroit », s’exaspère Yasmine, pour qui la préservation du patrimoine du Liban est primordiale.
En redescendant vers Beyrouth, les deux sœurs, qui ont longtemps vécu à l’étranger avant de revenir au pays du Cèdre, s’arrêtent dans leurs spots d’exploration préférés, à Hammana et à la résidence Sursock Donna Maria, à Sofar. « Pour dénicher ces endroits, il faut parfois beaucoup de recherches et on garde nos yeux et oreilles ouverts en permanence », expliquent-elles. Très jeune, Yasmine voulait devenir archéologue, « mais j’y ai renoncé et finalement, avec cette passion, c’est tout comme ».


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