Au-delà de la Syrie, les regards sont actuellement tournés vers l’Iran avec la décision du président américain Donald Trump de revenir aux sanctions économiques en vigueur avant l’accord sur le nucléaire tout en en promettant de nouvelles « inégalées dans le monde », selon ses propres termes, à partir de novembre prochain. Certains politiciens libanais pensent même que le retard dans la formation du gouvernement serait lié à la volonté d’attendre l’effet des sanctions sur l’Iran qui pourrait provoquer des changements stratégiques dans le paysage régional.
À Beyrouth, une source iranienne bien informée balaie toutes ces spéculations en affirmant que le régime iranien né de la révolution islamique en 1979 est déjà passé par des situations plus difficiles et il a tenu bon. Selon la source iranienne précitée, la situation actuelle est certes complexe, et l’Iran affronte actuellement trois guerres, économique, psychologique et sécuritaire.
Concernant la situation économique, la source iranienne insiste sur le fait que le système économique iranien est différent de celui des autres pays, en raison notamment des sanctions qui lui ont été imposées depuis l’avènement de la République islamique. Malgré les sanctions, l’Iran vient ainsi après la Turquie au 17e rang international sur le plan du produit intérieur brut. Il possède d’énormes réserves de ressources énergétiques et a un excédent commercial de 53 milliards de dollars grâce à ses exportations, en plus de ses réserves d’or.
De plus, en Iran, poursuit la source, il n’y a que 11,8 % de chômeurs et il s’agit d’une population jeune, dont l’âge moyen ne dépasse pas les 24 ans. Les produits iraniens couvrent 95 % des besoins alimentaires du pays, et 98 % des médicaments et des produits de santé sont fabriqués sur place, ajoute-t-elle. Et en matière d’énergie, l’Iran n’a besoin de rien importer, affirme cette source.
Le pays fabrique 120 000 voitures par an et il s’est doté d’une grande raffinerie d’essence produite à partir du gaz, installée à Bandar Abbas. L’économie iranienne n’est donc pas basée sur les importations ni sur le tourisme. Ce qui limite l’effet des sanctions américaines. Au sujet des liquidités en dollars qui peuvent devenir un problème en raison de l’interdiction des exportations et des échanges commerciaux internationaux, la source iranienne précise qu’il existe trois marchés intérieurs pour le dollar américain, celui des matières brutes utilisées par les usines, celui des produits technologiques et le marché noir. Les deux premiers sont bien contrôlés, mais c’est dans le troisième qu’il y a eu un problème cette année. Un problème qui aurait été sciemment provoqué. Selon la source précitée, en général, il y a un achat de 5 millions de dollars par jour. Mais pendant la fête du Nowrouz (Nouvel An iranien, en mars), comme les Iraniens prennent en général des vacances, l’achat de dollars devient plus important. Or, cette année, en deux mois, 15 milliards de dollars ont été sortis de l’Iran pendant cette période, juste avant que les États-Unis annoncent leur sortie de l’accord sur le nucléaire. Les autorités n’ont pas immédiatement compris de quoi il s’agissait. Mais en fait, c’était un plan préétabli, selon la source précitée, qui a été exécuté par les Émirats arabes unis, l’Arabie saoudite et les Kurdes irakiens.
L’annonce américaine de quitter l’accord sur le nucléaire est venue ensuite ajouter une panique psychologique chez les citoyens. Ceux-ci se sont précipités sur le marché noir pour acheter des dollars. Même chose pour l’or, sachant que la Banque centrale iranienne en a vendu 60 tonnes au cours des derniers mois.
(Lire aussi : Le pari risqué de l’UE face aux sanctions US contre l’Iran)
Concernant les exportations pétrolières, la source bien informée précise que le pays exporte 3,3 millions de barils par jour. Selon elle, le monde ne peut pas se passer du pétrole iranien car l’Arabie saoudite ne peut plus combler le manque dû à l’absence de ce pétrole. 65 % des exportations pétrolières iraniennes vont à la Chine et à l’Inde, 25 % à la Corée du Sud et au Japon, et 15 % à l’Europe (la Turquie achète du gaz iranien). En principe, les Européens ont promis de continuer à acheter du pétrole iranien. Par contre, si la Corée du Sud et le Japon cessent leurs importations, la Chine a promis d’augmenter les siennes. Quant aux menaces iraniennes de fermer le détroit d’Ormuz, qui commande l’entrée du golfe Arabo-persique, la source iranienne affirme que ce détroit « se situe dans les eaux territoriales iraniennes et, selon les conventions internationales, chaque pays a le droit d’empêcher un bateau d’utiliser son eau territoriale. C’est une question de souveraineté et de dignité nationales iraniennes ».
Autrement dit, la situation économique, selon la même source, serait solide, d’autant que le prix des produits n’a pas augmenté puisqu’ils sont pour la plupart fabriqués sur place. Mais c’est la guerre psychologique qui a le plus d’effet. De plus, la crise économique peut aussi devenir une chance car elle pourrait permettre une baisse du chômage pour réduire l’exportation de produits non énergétiques. En fait, 75 % des échanges commerciaux de l’Iran sont avec la Chine, les pays de l’ex-Union soviétique, la Turquie et l’Inde, pays qui ne suivent pas nécessairement les injonctions américaines.
Sur le plan sécuritaire, la guerre, estime la même source, n’a jamais cessé. Régulièrement, les autorités iraniennes démantèlent des réseaux terroristes liés à la mouvance « takfiriste » (jihadiste) ou au Pejak (Kurdes liés au PKK turc). Mais globalement, la situation serait bien tenue et la sécurité satisfaisante.
Toutes ces explications visent à montrer que la République islamique est consciente du fait que des jours difficiles l’attendent, mais selon la source précitée, le régime n’est pas menacé et la situation économique reste solide. Tout ce qui se dit sur un mécontentement populaire serait ainsi amplifié par les médias occidentaux ou hostiles à l’Iran, dans le but justement de provoquer une panique populaire. Mais les Iraniens ont dépassé ce stade depuis le temps qu’ils vivent sous les sanctions. De plus, le système politique iranien est basé sur des élections « démocratiques ». « Chaque année, il y a un scrutin. Comment pourrait-on renverser un régime élu dans lequel 12 ethnies cohabitent en harmonie ? » se demande la source précitée. Selon elle, toutes ces pressions de la part de l’administration américaine visent donc à pousser le régime iranien à un nouveau dialogue selon les conditions américaines. Mais cela n’arrivera pas de sitôt, surtout que sur le plan stratégique, la politique iranienne dans la région marque des points, alors que celle des États-Unis fait de plus en plus de perdants.
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encore la "Methode Coué"
Rossignol
17 h 10, le 08 août 2018