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Moyen Orient et Monde - Éclairage

Bloquer le détroit d’Ormuz : carte maîtresse ou coup de bluff iranien ?

Les menaces de la République islamique pourraient bien s’avérer contre-productives pour le régime.

Le porte-avions USS Abraham Lincoln traversant le détroit d’Ormuz. Jumana el-Heloueh/File Photo/Reuters

Alors que la tension monte avec les États-Unis, l’Iran a mené la semaine dernière un exercice naval dans le détroit d’Ormuz, des manœuvres qui sont intervenues à une date inhabituelle, l’Iran conduisant habituellement des opérations de cette nature et de cette échelle à l’automne. Le message envoyé aux adversaires occidentaux et arabes est clair : s’il le désire, l’Iran peut bloquer cette autoroute majeure du commerce international qui voit transiter un tiers du trafic mondial de pétrole. La menace avait été formulée de façon explicite une semaine plus tôt par l’amiral Hossein Khanzadi, commandant en chef de la marine iranienne, pour qui la décision – ou non – de maintenir la libre circulation dans le détroit dépend des « intérêts nationaux » iraniens.

Mercredi, un général américain a prévenu que les États-Unis sont déterminés à assurer avec une « extraordinaire vigilance » la navigation dans le détroit d’Ormuz. « Il est assez clair qu’ils essayaient d’utiliser cet exercice pour nous envoyer un message », a déclaré à la presse le général Joseph Votel, commandant des forces américaines au Moyen-Orient. « L’une de nos principales missions est d’assurer la liberté de navigation et la liberté des échanges commerciaux, et nous continuerons à le faire dans l’ensemble de la région », a poursuivi le général américain.

Du point de vue des décideurs iraniens, la menace, régulièrement brandie à chaque poussée de la crise qui oppose la République islamique aux États-Unis et à leurs alliés, est théoriquement porteuse d’un effet dissuasif. La perspective d’un blocage d’une large partie des exportations pétrolières saoudiennes, émiraties et koweïtiennes permet de faire pression à la fois sur les importateurs occidentaux, dont les économies se verraient étranglées par le renchérissement du prix du baril de pétrole, et sur les exportateurs arabes, qui doivent pouvoir physiquement exporter leur pétrole.


(Lire aussi : Une lecture iranienne des sanctions américaines et de leurs conséquences)


L’Iran dispose des moyens pour bloquer le détroit
Cette menace brandie par Téhéran n’est pas uniquement théorique. Comme l’explique à L’Orient-Le Jour Jean-François Seznec, chercheur au Middle East Institute, l’armée iranienne dispose des moyens pour bloquer cette étroite voie navigable – uniquement 40 km de large – à moindre coût, « en utilisant des mines, ou encore des attaques par petits bateaux rapides armés de missiles antitanks ou autres roquettes, ou encore par des missiles mer-mer du type Silkworm à partir des côtes iraniennes ».

Si le blocage est matériellement faisable, il n’est pas dit que les Iraniens pourraient le maintenir plus de quelques heures. L’acte de bloquer une voie maritime internationale de cette importance fournirait en outre aux États-Unis et à leurs alliés un casus belli qui ne souffrirait aucune contestation. Les marines occidentales ont prépositionné assez d’éléments sur la zone pour se donner les moyens de riposter en un minimum de temps avec une puissance de feu maximum, comme le rappelle Jean-François Seznec : « Cela fait des années que l’US Navy s’entraîne pour ce genre de situation. Elle est épaulée par la marine française basée à Abou Dhabi et équipée de démineurs de haute mer. La Navy a, en outre, des bâtiments en place à Bahreïn et à Dubaï. De plus, la couverture aérienne est aussi présente, que ce soit avec les porte-avions américains, la base aérienne de l’US Air Force au Qatar, ou même les Français, présents aussi à Djibouti. Les Occidentaux peuvent rapidement prendre le contrôle du ciel et neutraliser tout mouvement agressif de la marine ou de l’armée de la République islamique, puis porter le feu sur le sol iranien. En 1988, en pleine guerre Iran-Irak, la marine américaine avait prouvé sa capacité à mettre en échec les vedettes rapides iraniennes lors de la bataille des plates-formes Sassan et Sirri. Bloquer le détroit d’Ormuz pourrait bien être le dernier acte de la République islamique. »

Cependant, même en l’absence, très improbable, de riposte militaire occidentale, bloquer le détroit d’Ormuz pourrait être, pour la République islamique, un moyen très efficace de se tirer une balle dans le pied, comme le souligne Jean-François Seznec pour qui « un blocage des détroits frapperait d’abord les intérêts économiques de l’Iran, qui ne pourrait plus exporter du tout ». Sachant que la survie d’une économie iranienne affaiblie par les sanctions dépend plus que tout de sa capacité à exporter du pétrole, on mesure combien ce blocage peut s’avérer suicidaire pour un régime dont la population proteste déjà régulièrement, ces derniers temps, contre les difficultés économiques.

Dans le même temps, une suspension ou une réduction des exportations iraniennes de pétrole mécontenterait fortement un certain nombre d’États favorables à l’Iran et acheteurs de son pétrole. Il ne s’agit pas de la Russie, exportatrice de pétrole et de gaz, qui verrait au contraire d’un œil plutôt favorable une remontée des cours, mais bien du premier acheteur de pétrole iranien : la Chine. Pour Jean-François Seznec, « les Chinois seraient très ennuyés car cela ferait monter le coût de leurs importations. Ils mettraient sans doute beaucoup de pression sur Téhéran pour rouvrir le détroit ».

Enfin, la question de l’efficacité même d’une brutale hausse des cours du pétrole sur l’économie du « grand Satan » américain reste un sujet de débat parmi les économistes. 2018 n’est pas 1973 (quand l’Arabie saoudite avait décrété un embargo total sur les livraisons destinées aux États-Unis), les sources d’approvisionnement alternatives existent, ne serait-ce que les fameux gaz et huiles de schiste dont la production atteignait les 9 millions de barils par jour en 2017.
Si la menace de fermer le détroit d’Ormuz est régulièrement brandie par le régime iranien pour sanctuariser son territoire vis-à-vis des Occidentaux, sa mise en œuvre risquera donc d’être contre-productive pour l’Iran et conduira probablement à l’intervention militaire qu’elle est justement censée éviter. Elle semble donc plutôt tenir du coup de bluff.



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commentaires (7)

La guerre des Six Jours en 1967 ne vous rappelle rien ? Le 13 mai 1967, l'Egypte bloqua le détroit de Tiran, ce fut la guerre des Six Jours qui a vu la victoire d'Israél sur l'Egypte, la Jordanie et la Syrie.

Un Libanais

21 h 04, le 10 août 2018

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Commentaires (7)

  • La guerre des Six Jours en 1967 ne vous rappelle rien ? Le 13 mai 1967, l'Egypte bloqua le détroit de Tiran, ce fut la guerre des Six Jours qui a vu la victoire d'Israél sur l'Egypte, la Jordanie et la Syrie.

    Un Libanais

    21 h 04, le 10 août 2018

  • Toute l'histoire du régime des mollahs est un bluff... Si les Etats-Unis et leurs alliés suivent la tactique utilisée avec la Yougoslavie, le régime Iranien ne durera pas plus d'une paire de semaines... Il implosera de lui même de toute manière... Keep up the pressure Donald!

    Pierre Hadjigeorgiou

    14 h 13, le 10 août 2018

  • Coup de bluff américain. Ils noseront pas affronter l'Iran NPR.

    FRIK-A-FRAK

    12 h 21, le 10 août 2018

  • L'Europe n'a pas été capable d'imposer son euro et voilà où nous en sommes...

    Eleni Caridopoulou

    12 h 21, le 10 août 2018

  • Une riposte en un minimum de temps et avec une puissance maximale dites-vous? Cela ressemble à la guerre de 2006 avec les résultats que l’on connaît. Rien n’est aussi simple, que ce soit de fermer le détroit, ou d’y répondre militairement.

    Chady

    11 h 37, le 10 août 2018

  • DES MENACES QUI SI ELLES SONT MISES EN PRATIQUE PORTERONT LA FIN DE LEUR INITIATEUR !

    LA LIBRE EXPRESSION

    09 h 38, le 10 août 2018

  • tout est dit

    George Khoury

    07 h 11, le 10 août 2018

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