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Moyen Orient et Monde - Éclairage

Bagdad pris entre deux feux avec les sanctions américaines contre l’Iran

Le Premier ministre irakien a annoncé que son pays se conformera aux directives américaines, mais tente d’éteindre le feu avec Téhéran.

Le président américain Donald Trump recevant le Premier ministre irakien Haider al-Abadi à la Maison-Blanche, le 20 mars 2017. Kevin Lamarque/Archives Reuters

C’est un dilemme cornélien pour Haider al-Abadi, Premier ministre irakien, sur la sellette en attendant la formation d’un nouveau gouvernement. Bagdad a autant besoin de son allié américain que de son parrain iranien, surtout en cette période de rémission suivant une guerre de quatre ans contre le groupe État islamique. Mais depuis l’entrée en vigueur de la première salve de sanctions américaines contre l’Iran le 7 août dernier, l’administration américaine a clairement fait comprendre au premier importateur de produits iraniens qu’il ne bénéficierait pas d’un régime d’exception. « Nous les (sanctions sur l’Iran) considérons comme une erreur stratégique mais nous nous y conformerons pour protéger les intérêts de notre peuple. Nous (…) ne les supporterons pas mais nous les respectons », a finalement déclaré Haider al-Abadi au lendemain de l’annonce. Le Premier ministre a multiplié les déclarations apologétiques en début de semaine, réaffirmant lundi agir dans l’« intérêt » de son pays, même s’il « compatit » avec les Iraniens. « Je n’ai pas dit que nous nous plions aux sanctions, j’ai dit que nous respectons l’interdiction d’effectuer des transactions en dollars », a-t-il corrigé plus loin lors d’une conférence de presse à Bagdad.

Avant et après la date-butoir, le flot des déclarations contradictoires ne s’est pas tari. La veille du 7 août, le président irakien Fouad Massoum avait exprimé un avis contraire à celui de Haider al-Abadi. « La situation en Irak et la nature de nos relations avec l’Iran rend difficile le respect par l’Irak des sanctions imposées par Washington à Téhéran », avait déclaré le président sur la chaîne nationale Alhurra. La confusion peut être un moyen pour Bagdad de gagner du temps, une façon de ménager la chèvre et le chou en espérant une inflexion de Washington. Téhéran a cependant engagé les hostilités dimanche. La visite officielle de M. Abadi à Téhéran a été annulée, officiellement à cause d’un « calendrier chargé ». Moujtaba al-Hussein, le représentant à Bagdad du guide suprême Ali Khamenei, a dénoncé « une attitude déloyale envers la position honnête de l’Iran et du sang des martyrs que ce pays a versé pour défendre la terre d’Irak face au groupe État islamique ». Après l’appui iranien dans la guerre contre l’EI, l’argument des « dettes » historiques s’est poursuivi en faisant remonter à la surface des dossiers liés à la guerre Irak-Iran (1980-1988).

Plusieurs officiels iraniens réclament maintenant des compensations pour les dommages causés à la République islamique par l’armée de Saddam Hussein. La résolution 598 du conseil de l’ONU, consécutive à la fin de la guerre, n’astreint pas Bagdad à payer des réparations. Le sujet était clos depuis 1991 entre les deux pays.


(Lire aussi : Abadi défend sa position sur les sanctions face à l’Iran et ses alliés)



« Cette décision ne lie pas le prochain gouvernement »
« Abadi représente une tendance qui essaie de maintenir un équilibre entre les influences iranienne et américaine. Mais cette frange est affaiblie, la liste de Abadi n’est arrivée que troisième aux dernières élections », explique Myriam Benraad, professeure associée à l’université de Leyde (Pays-Bas). « Même Moqtada Sadr (le clerc chiite populiste anti-iranien arrivé en tête du scrutin) n’a pas complètement remis en cause l’ancrage iranien », poursuit la chercheuse. La liste de M. Sadr, un faiseur de roi dans le processus de formation gouvernementale post-élections, a conclu en juin dernier une alliance avec l’avatar politique des Unités de mobilisation populaire (UMP), un cartel de milices alignées sur Téhéran qui a suppléé l’armée irakienne dans sa guerre contre l’EI. Des émissaires iraniens ont « facilité », sinon forcé ce rapprochement contre nature. L’une des milices chiites qui compose les UMP, Asa’ib Ahl al-Haq, a déclaré en substance dans un communiqué du 8 août dernier, que Haider al-Abadi était de toute façon obsolète sur la scène politique irakienne : « Nous regrettons une telle position du Premier ministre irakien (…), mais celle-ci n’oblige pas l’État irakien à un tel engagement, surtout alors que son gouvernement est démissionnaire et agit sans couverture parlementaire. Cette décision ne lie pas le prochain gouvernement. »


(Pour mémoire : Abadi annule sa visite en Iran)


Malgré la dramaturgie politique, faire appliquer des sanctions uniformes sur les échanges irano-irakiens est difficilement praticable. Le paysage politique est si fractionné que Téhéran entretient des liens « sur mesure » avec chaque groupe, notamment avec le Gouvernement régional du Kurdistan (GRK). « Certaines communautés chiites dépendent au quotidien des investissements et des associations caritatives iraniennes », rappelle Mme Benraad. « Tout dépend, à chaque fois, de quel Irak on parle. »

Au cours des dernières décennies, un nombre croissant de fermiers irakiens ont stoppé leurs activités à cause des sécheresses à répétition, accélérant la dépendance du pays aux produits de base importés d’Iran. Le marché irakien donne à ce dernier une respiration indispensable. Dans la phase pré-accord de Vienne, l’exportation de voitures bon marché en grande quantité avait limité la chute du rial en injectant plus de dollars dans l’économie nationale. Les deux économies sont de toute façon si intriquées que « l’application des sanctions n’est pas tenable », d’après Myriam Benraad. La confusion et les déclarations contrites de Bagdad témoignent qu’il lui est impossible de choisir son camp. Le gouvernement irakien craint un retrait des troupes américaines restantes dans le pays, à un moment où l’EI n’est pas encore vaincu. La guerre contre l’organisation jihadiste sur le sol irakien est l’exemple le plus récent d’une dépendance partagée entre les alliés irakien et iranien. « Les frappes aériennes américaines ont été fondamentales avec l’appui des Iraniens au sol », souligne Mme Benraad.


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C’est un dilemme cornélien pour Haider al-Abadi, Premier ministre irakien, sur la sellette en attendant la formation d’un nouveau gouvernement. Bagdad a autant besoin de son allié américain que de son parrain iranien, surtout en cette période de rémission suivant une guerre de quatre ans contre le groupe État islamique. Mais depuis l’entrée en vigueur de la première salve de...

commentaires (2)

qui n'est pas curieux de connaitre la realite des relations americano-iraqo/iraniennes ?

Gaby SIOUFI

10 h 38, le 15 août 2018

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Commentaires (2)

  • qui n'est pas curieux de connaitre la realite des relations americano-iraqo/iraniennes ?

    Gaby SIOUFI

    10 h 38, le 15 août 2018

  • IL N,Y A QU,UNE VOIE. RESPECTER LES SANCTIONS CONTRE L,IRAN ET CONTRE LA TURQUIE PEUT-ETRE UN JOUR...

    LA LIBRE EXPRESSION

    09 h 14, le 15 août 2018

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