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Moyen Orient et Monde - Droits de la femme

En Tunisie, un pas hésitant vers l’égalité successorale entre hommes et femmes

L’hostilité de la frange la plus conservatrice de la population risque de placer le parti islamiste Ennahda en porte-à-faux avec sa propre base.

Des Tunisiennes lors d’une manifestation en faveur de l’égalité homme-femme, à Tunis, le 13 août. Fethi Belaid

Faut-il accorder aux Tunisiennes une part d’héritage égale à celle des Tunisiens ? Le panel d’experts chargés de rédiger des propositions de réformes des lois tunisiennes en matière de libertés individuelles et d’égalité a répondu par l’affirmative, avec le soutien exprimé lundi dernier du président de la république, Beji Caïd Essebsi, issu du parti séculaire, Nidaa Tounes. 

Ce projet de réforme met, une fois de plus, face à face deux aspects contradictoires de la société tunisienne. D’un côté, une longue tradition de liberté des femmes qui fait d’elle l’une des sociétés les plus avancées du monde arabe sur ce point ; et de l’autre une population majoritairement traditionaliste, attachée au référent culturel et religieux de l’islam. La loi tunisienne actuelle, qui s’appuie sur le droit islamique, stipule qu’en règle générale, un homme hérite le double d’une femme du même degré de parenté. Samedi dernier, c’est cette part conservatrice, sans doute majoritaire, de la société qui a organisé une démonstration de force réunissant des milliers de personnes à Tunis. Elle exprimait non seulement son refus du projet de loi, mais aussi une peur de voir – à force de réformes – la Tunisie s’éloigner de son identité musulmane. 

Le président et le gouvernement sont bien sûr conscients de ce rapport de force défavorable. Le projet inclut ainsi la possibilité, pour les familles qui le souhaiteraient, d’opter pour l’ancien système de succession, mais il est pour autant loin d’être certain que cette première concession suffira. Comme l’explique à L’Orient-Le Jour Sophie Bessis, auteure de Habib Bourguiba, une biographie en deux volumes, « l’introduction d’une exception au principe général d’égalité est évidemment destinée à satisfaire Ennahda et, plus généralement, la partie conservatrice de l’opinion tunisienne. Mais les responsables du parti islamiste sont divisés sur la question : si certains sont prêts à accepter un compromis, la majorité refuse tout principe d’égalité, contraire selon eux à la charia ». 

Le dilemme du parti islamiste – négocier pour donner de la crédibilité à sa nouvelle image de parti de gouvernement responsable ou refuser la réforme en bloc au nom de ses principes fondateurs – risque d’être tranché par l’attitude de sa base qui, comme le rappelle Sophie Bessis, « demeure hostile à tout compromis ». « La manifestation organisée le 11 août par la mouvance salafiste liée au parti islamiste montre bien qu’une partie importante de ses militants refuse énergiquement que l’on remette en question l’inégalité entre hommes et femmes en matière d’héritage », souligne-t-elle. Plus que la question concrète de pouvoir – ou non – favoriser les fils au détriment des filles, c’est la question du principe qui importe aux militants et sympathisants : que la loi du pays suive la prescription coranique. Or, la loi telle que proposée par le président Essebsi dit précisément le contraire : l’égalité devient la règle, et la prescription coranique l’exception.   


(Lire aussi : Le parcours du combattant d’une Tunisienne pour épouser un non-musulman


Vider la loi de son contenu
Poussés par une base chauffée à blanc, les députés islamistes pourraient donc profiter de l’examen de la loi à l’Assemblée nationale pour multiplier les propositions d’amendement et demander ainsi des concessions supplémentaires, pouvant ainsi définitivement vider de son contenu une loi qui, en portant dans son texte même un principe dérogatoire, affiche d’ores et déjà des faiblesses inquiétantes, de l’avis des spécialistes. « En principe, toute loi est applicable à tous et ne souffre pas d’exception. Or, l’exception fera dans ce cas partie de la loi elle-même. C’est pourquoi nombre de juristes de la mouvance moderniste mettent en garde contre la possibilité de vider la future loi de son contenu. Ils s’alarment de l’introduction, par ce biais, d’un double référentiel dans la législation tunisienne : le référentiel des droits tels qu’inscrits dans les conventions internationales ratifiées par la Tunisie et le référentiel religieux. C’est pourquoi l’annonce présidentielle du 13 août est une étape importante sur la voie de l’égalité, mais une étape seulement », souligne Sophie Bessis.

Ce risque est d’autant plus présent que, à l’inverse des islamistes, les partis progressistes sont particulièrement peu mobilisés sur la question, à l’exception de petits partis très à gauche et à l’influence réduite. Presque embarrassés, ne voulant pas s’aliéner un électorat qui reste majoritairement conservateur, ces derniers sont peu et mal préparés à résister aux éventuelles pressions d’Ennahda pour faire de la réforme une coquille vide.

« C’est donc la société civile qui restera aux avant-postes pour défendre le principe d’égalité et veiller à ce que la concession faite aux conservateurs soit très strictement encadrée et ne permette pas à l’exception de redevenir la règle », conclut Sophie Bessis. Une bataille politique de grande ampleur s’annonce, dont l’issue pourrait avoir des répercussions dans le reste du monde arabe.


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La loi ne stipule pas, elle dispose...

Chorzow Factory

20 h 34, le 17 août 2018

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Commentaires (1)

  • La loi ne stipule pas, elle dispose...

    Chorzow Factory

    20 h 34, le 17 août 2018

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