Non seulement les obstacles à la formation d’un nouveau gouvernement ne s’aplanissent pas, mais de nouveaux nœuds surgissent au fil des jours, subordonnant de plus en plus ce processus à la conjoncture régionale, en particulier au délicat principe de la distanciation à l’égard des axes régionaux.
Par ailleurs, comme certaines voix s’en inquiétaient dernièrement, le blocage persistant semble avoir commencé à provoquer des débordements d’ordre politico-confessionnel sur les réseaux sociaux et dans la rue, alors que des partisans du courant du Futur ont coupé hier soir la route au niveau de Corniche Mazraa pour protester contre des propos tenus par le journaliste proche du Hezbollah Salem Zahran contre le Premier ministre.
Le principe de distanciation avait resurgi avec force, mardi, quand le Premier ministre désigné Saad Hariri, en réponse à une série de déclarations favorables au rétablissement des relations libano-syriennes, avait affirmé en substance que la chose est hors de question. « Il n’en sera pas fait mention dans la déclaration ministérielle du prochain gouvernement », avait-il martelé.
En novembre 2017, le Premier ministre désigné avait accepté de revenir sur sa décision de démissionner de son poste de président du Conseil, qu’il avait annoncée de la capitale saoudienne plusieurs jours auparavant, à condition que le Liban s’engage de manière irrévocable à se distancier des conflits régionaux et à ne pas s’ingérer dans les affaires internes des pays arabes. « Si certains souhaitent le retour des relations normales via l’ouverture du poste-frontière de Nassib (entre la Syrie et la Jordanie), alors c’est sûr qu’on ne formera pas le gouvernement de sitôt », avait-il ajouté, en référence au point de passage emprunté par la noria de camions transportant des marchandises du Liban vers l’hinterland arabe, aujourd’hui repris aux rebelles syriens. Les officiels syriens, toutefois, exigent que la reprise de la circulation sur cette route soit le fruit d’un accord intergouvernemental libano-syrien.
(Lire aussi : Gouvernement : il faudra encore un peu de temps, affirme Hariri)
Berry appelle au « réalisme »
Réagissant hier aux propos de M. Hariri, le président de la Chambre, Nabih Berry, a affirmé hier qu’ils ne sont « ni réalistes ni utiles ». Et de rappeler que « des relations diplomatiques existent entre le Liban et la Syrie ». « Il y a à peine quelques mois, M. Hariri lui-même avait nommé un ambassadeur du Liban en Syrie », a-t-il rappelé.
Le chef du législatif a rafraîchi la mémoire du Premier ministre désigné en lui rappelant aussi qu’il existe un Conseil supérieur libano-syrien et que le Liban est sur le point de demander à la Syrie de l’approvisionner en courant électrique. Il a enfin souligné que la Sûreté générale libanaise coordonne depuis des mois, avec le régime syrien, les opérations de rapatriement de réfugiés syriens.
Au demeurant, plusieurs ministres comme Ghazi Zeaïter et Hussein Hajj Hassan, se sont rendus dernièrement à Damas, alors que les formations prosyriennes et une partie du Courant patriotique libre multiplient leurs appels pour une normalisation des relations avec le régime syrien, estimant qu’elles sont dans l’intérêt de la prospérité du Liban. Même Hassan Nasrallah s’était permis mardi de conseiller à M. Hariri de ne pas s’avancer aussi loin dans son refus de toute normalisation avec le régime syrien, jugeant qu’il pouvait s’interdire ainsi une possible révision de ses propres positions là-dessus.
(Lire aussi : Le tandem chiite se fissure-t-il déjà ?)
L’Arabie saoudite
Mais le principe de distanciation a été, par ailleurs, de nouveau foulé aux pieds mardi par le secrétaire général du Hezbollah, qui avait accablé l’Arabie saoudite en lui reprochant sa complicité avec les États-Unis dans la guerre du Yémen et dans la crise endémique où se trouvent plongés la Cisjordanie et Gaza, face aux manigances de Benjamin Netanyahu. Hassan Nasrallah a notamment accusé Riyad de massacres au Yémen, de terrorisme, de connivence avec Israël.
Réagissant à ces propos, le ministre émirati des Affaires étrangères, Anwar Gargash, a accusé mercredi le Liban de ne pas se conformer à la politique de distanciation qu’il s’était engagé à respecter en novembre dernier. « Le discours de Hassan Nasrallah et ses attaques contre le royaume saoudien sont un nouvel exemple de l’échec de la mise en œuvre de la politique de distanciation du Liban, envers laquelle nous n’avons encore vu aucun engagement. » « Espérons que les déclarations du Liban officiel ne seront pas emportées par le vent », a-t-il ajouté, dans un tweet publié peu après la fin du discours de Hassan Nasrallah.
Un sentiment partagé par une bonne partie de la classe politique, mais qui commence à se transformer en exacerbations politico-confessionnelles, comme le prouvent les mouvements de rue observés hier.
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commentaires (11)
Quelle distanciation ? Celle-ci n'a jamais existé que sur du papier. Tout le monde se renvoie la balle alors que les 2 grandes puissances régionales rivales l'Iran et l'Arabie Saoudite continuent d'entraver le processus de formation du gouvernement.
Tony BASSILA
19 h 00, le 17 août 2018