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Idées - Sécurité routière au Liban

Nos responsables n’ont pas compris que la vie n’a pas de prix...

Photo d’illustration ANI

Chaque année, une sourde et sordide guerre qui ne dit pas son nom fauche des centaines de vies innocentes et endeuille leurs familles dans l’indifférence quasi générale des pouvoirs publics. Depuis le début de l’année, les routes libanaises ont déjà tué 281 personnes – soit un rythme affolant de plus d’un mort par jour ! –, auxquelles il faut ajouter plus de 3 000 blessés, selon les chiffres du Centre de gestion du trafic des Forces de sécurité intérieure (arrêtés au 14 août). Un bilan d’autant plus sinistre que plus du tiers de ces décès (et un quart des blessés) concernent de bien vulnérables piétons.

Tel est le constat macabre qui s’impose aux Libanais depuis des décennies, sans que l’on assiste à l’émergence d’un plan sérieux de sortie de crise. Car les marges d’amélioration dans ces domaines sont immenses, si tant est que l’on veuille vraiment s’en donner les moyens : selon l’Organisation mondiale de la santé, le taux de mortalité routière – soit le nombre de tués pour 100 000 habitants – dans les pays à revenu faible et intermédiaire, dont fait partie le Liban, est deux fois plus élevé que celui des pays à revenu élevé. Pire, ces pays concentrent plus de 90 % des décès dus aux accidents de la route, alors qu’ils ne possèdent qu’un peu plus de la moitié du parc de véhicules mondial.


(Lire aussi : Au Liban, ces routes qui tuent au quotidien...)


Lettre morte
Plus de trois ans après l’entrée en vigueur du nouveau code de la route – qui prévoyait notamment l’introduction du permis à points, le renouvellement décennal de ce dernier, un abaissement des limites de vitesse autorisées ou le durcissement des sanctions prévues –, la joie avec laquelle nous avons accueilli cette avancée, censée être décisive, s’est avérée être de bien courte durée. Car si les réformes introduites alors ne sont pas en cause, force est de constater qu’elles sont depuis restées lettre morte et que les infractions à la loi continuent à prendre le dessus sur les timides tentatives de l’État pour s’assurer de leur réelle mise en œuvre.

C’est en effet avec beaucoup d’amertume et de déception que je constate aujourd’hui que l’écart entre la loi et son exécution est principalement provoqué en toute connaissance de cause par des acteurs politiques très influents et pour qui l’application de la loi constitue tout simplement un conflit d’intérêts. Des factions politiques continuent en effet à encourager quelques secteurs du transport public à se révolter contre l’application du code de la route sous prétexte que les contraventions sont élevées ou parce que la limitation de l’excès de charge constitue un manque à gagner pour les camionneurs chauffards. Pour notre classe politique, la satisfaction d’une base électorale semble ainsi primer sur la légalité comme sur la vie des citoyens.

Et que dire du développement précaire des infrastructures routières, des décrets exécutifs non rédigés – notamment s’agissant des normes encadrant le port du casque ou portant sur la création et l’organisation des instituts de conduite –, de l’annulation aléatoire des contraventions sur fond de corruption ? Que dire de l’absence (en dépit des tentatives sincères du Conseil national de la sécurité routière) d’un plan national durable permettant l’édification de centres traumatiques spécialisés sur tout le territoire et la création d’un centre de statistiques national recensant (sur le plan quantitatif et qualitatif) les blessures graves ? Comment espérer, dans ces conditions, atteindre et maintenir une réduction palpable du taux de mortalité sur nos routes ?


(Lire aussi : Accidents de la route : Près de 300 morts depuis le début de l’année au Liban)


Délit de négligence
Au lieu d’avoir des mesures de sécurité routière strictes et répressives appliquées à tous les citoyens sans exceptions, et une culture de secours post-accident englobant toute la chaîne de sauvetage – du lieu de l’accident jusqu’aux salles d’urgence de tous les hôpitaux du territoire –, nous faisons tristement face à une culture de négligence quasi généralisée. Depuis 2011, Roads for Life a initié, dans le cadre de partenariats, des programmes de formation à l’optimisation des opérations de secours auprès des médecins urgentistes, des infirmiers et des secouristes. Nous avons œuvré afin que les opérations de sauvetage, notamment en matière de formation post-traumatique, puissent inclure aussi des dizaines de secteurs et d’institutions dans notre pays, notamment les forces de l’ordre, l’armée, la Défense civile, la police municipale, etc. Or, à ce jour, aucune base de données ne nous a été communiquée, ni par l’État ni par les hôpitaux, quant à l’impact de ces opérations, afin de pouvoir analyser ces données et établir un plan d’intervention efficace. Dans notre cher pays, les chiffres sont érigés au rang de secrets d’État !

Les lacunes sont si graves, le besoin si urgent, la négligence de l’État si évidente et la culture du sauvetage pratiquement marginalisée. Même si les responsables en connaissent l’importance, ces formations ne seront jamais incluses dans leurs budgets. À croire que pour nos responsables, une vie n’a plus d’importance dès lors qu’elle ne rapporte pas d’argent ! J’ai finalement compris qu’ils n’ont rien compris, car une vie n’a pas de prix. L’État qui ne protège pas la vie de ses citoyens n’aura jamais la confiance de son peuple et devrait être tenu responsable pour délit de négligence, voire complicité de crimes. Sa légitimité devrait donc être mise en question…

En attendant, d’innombrables familles libanaises devraient encore vivre une tragédie similaire à celle qui a frappé ma famille, ce matin du 19 octobre 2010, lorsqu’un conducteur téméraire et irréfléchi a fauché la vie de mon fils Talal, piéton innocent et vulnérable... Un drame qui m’a empêchée, comme chaque année depuis lors, de souffler, il y a trois jours, sa 25e bougie avec lui…

Zeina Kassar Kassem est présidente de l’association Roads for Life.



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Chaque année, une sourde et sordide guerre qui ne dit pas son nom fauche des centaines de vies innocentes et endeuille leurs familles dans l’indifférence quasi générale des pouvoirs publics. Depuis le début de l’année, les routes libanaises ont déjà tué 281 personnes – soit un rythme affolant de plus d’un mort par jour ! –, auxquelles il faut ajouter plus de 3 000...

commentaires (4)

Les responsables n'ont toujours pas compris, certes... mais les chauffards non plus et c'est, au moins, tout aussi grave, parce que c'est eux qui conduisent n'importe comment et causent les accidents... Parce que les accidents ont lieu en plein jour, devant tout le monde et que personne ne peut dire: "je ne savais pas, je n'ai jamais vu un accident de ma vie"... Tout le monde voit et tout le monde sait que ca existe et les drames qui en découlent, mais certains continuent de se croire au dessus du pire...

NAUFAL SORAYA

20 h 45, le 18 août 2018

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Commentaires (4)

  • Les responsables n'ont toujours pas compris, certes... mais les chauffards non plus et c'est, au moins, tout aussi grave, parce que c'est eux qui conduisent n'importe comment et causent les accidents... Parce que les accidents ont lieu en plein jour, devant tout le monde et que personne ne peut dire: "je ne savais pas, je n'ai jamais vu un accident de ma vie"... Tout le monde voit et tout le monde sait que ca existe et les drames qui en découlent, mais certains continuent de se croire au dessus du pire...

    NAUFAL SORAYA

    20 h 45, le 18 août 2018

  • J'admire votre initiative et votre courage envers ce fleau auquel l'Etat nous livre depuis des decennies. Bon courage, et merci!

    B Malek

    13 h 50, le 18 août 2018

  • Peut-être bien que tout commence avec la manière dont on obtient le permis, et... C'est quoi le code de la route au Liban ? Y en a-t-il un ? Où sont les panneaux de signalisation ? Où sont les trottoirs ? Qui est responsable de l'absence de tout ça ? Ne serait-ce pas les gouvernants ?

    ASSAF Milka

    11 h 31, le 18 août 2018

  • Moi je vis au Canada, et quand je viens visiter ma famille à Beyrouth, j'ai littéralement peur de traverser les rues. Je dois faire très attention. Ici, c’est acquis: l’automobiliste va me faire passer en premier quand lui a le feu vert et moi le signe de passage du piéton allumé. A Beyrouth? Ohlala… J'ai déjà vu des autos bruler le feu rouge en plein jour, à une grande vitesse, et devant deux gendarmes qui étaient là. C’est très touchant ce que vous avez écrit madame Kassar Kassem. Vous avez beaucoup de force interne et de courage! Merci pour tous vos efforts afin d’éduquer les chauffeurs libanais et bravo!

    Algebrix

    03 h 02, le 18 août 2018

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