C’est un fait, l’été est souvent, pour un grand nombre d’entre nous, assez mouvementé. Entre les soirées, les sunset drinks, les mariages, les anniversaires, les fiançailles, les déjeuners sur l’herbe, les Mar Zakhia, Eid el-Adra, Adha et autres gatherings, on ne sait plus où donner de la tête, et on finit par ne plus voir ceux qu’on a l’habitude de voir. Oubliés les déjeuners du samedi, les après-midis entre copains et gamins à se gaver de petits fours, les pokers du lundi soir et les happy hours entre filles. Le proprio du bar que l’on fréquente nous demande où on est, le plagiste aussi. « Waynik wlo ? »
Mais au-delà des fêtes et des obligations, le plus grand time consumer, ce sont indéniablement les « voyageurs ». Voyageur : toute personne venue de l’étranger par voie terrestre, maritime ou aérienne. OK, aérienne surtout. Généralement, il s’agit de visiteurs dans le cadre professionnel. En été, la donne change. Les voyageurs sont également les expats ; les fils, les filles, les petits-enfants, les neveux, les parents, les oncles qui viennent passer quelques jours avec la famille ; et les amis « touristes », ceux qui ne sont pas libanais... Ceux et celles qu’on doit faire sortir. Dont on doit s’occuper. Soit parce que ce sont des amis proches qui n’ont jamais foulé le sol libanais ; soit des amis d’amis dont on doit s’occuper ; soit des potes qui adorent le Liban et qui comptent sur vous pour (re)découvrir le pays.
« Nous sommes heureux et honorés de vous recevoir. » On a beau se marrer à chaque fois qu’on entend cette phrase stupide dans les haut-parleurs de l’aéroport, il y a quelque chose de juste dans ce qui est dit, malgré l’accent insupportable de la voix qui l’énonce. Nous sommes vraiment heureux de les recevoir. Et quelque part, c’est un honneur pour nous de leur montrer notre chez-nous sous un autre jour. Parce qu’on aura beau cracher sur notre pays, détester sa mer noyée de déchets, son peuple, ses routes, ses embouteillages, son anarchie… quand quelqu’un nous rend visite, on cherche à redorer le blason du Liban. Et jour après jour, promenade après promenade, soirée après soirée, on réalise qu’on n’a pas besoin de le faire. À travers les yeux des petites venues avec leurs parents, des frères et sœurs, on sait que le pays de Fayrouz est toujours le même. On sait que le Chouf est magnifique, que le coucher du soleil à Faraya est superbe, que Beyrouth est belle de contrastes, que Byblos sera éternellement Byblos, que la limonade de Batroun est légèrement sucrée, que la man’ouché a une saveur à nulle autre pareille. On sait que le Lazy B est authentique, que le Sporting et Pépé sont des institutions, que le Mir Amine a une vue de dingue, que les cèdres du Barouk sont à couper le souffle.
On le sait parce qu’on a vibré avec eux. Sur les chansons de Matthieu Chedid, avec la trompette d’Ibrahim Maalouf, au son de la voix d’Ute Lemper. On a vibré comme eux devant le DJ booth à Decks où sévissaient Polo et Pan. On a arpenté les rues de Mar Mikhaël, chiné chez les designers, acheté du savon baladé. On s’est tapé la foule et la cohue du 15 août à Faraya, pris les embouteillages en allant à Douma, repris les embouteillages en rentrant de Tyr. On a mangé du hommos, de la asbé nayyé, des machéwés, des sultan Ibrahim, des chawarmas, du rez 3a djej. On en a remangé quasiment tous les jours. On a bu de l’arak, petit-déjeuné des kneffés. On s’est tapé des cuites au gin basil et au champagne. On a fait le tour des rooftops et des restaurants de poisson. On a été au Torino, au Cyrano, à l’Inter. Puis on s’est dirigé vers Hamra. On leur a raconté les histoires d’avant la guerre, les histoires de la guerre, les histoires d’après-guerre. On leur a raconté les Phéniciens, les croisés, les Ottomans, le mandat, le printemps de Beyrouth. Et évidemment on leur a dit qu’on pouvait skier et nager la même journée.
On sait que le Liban, c’est tout ça. L’hospitalité, la gentillesse, la volubilité, la myrrhe, l’encens, le parfum du jasmin. On le sait, c’est juste qu’on avait oublié. Et qu’on l’oubliera probablement à nouveau une fois que ces « voyageurs » fouleront le tarmac. Là, nous ne serons plus heureux… et encore moins honorés.
Lifestyle - Un peu plus
« Nous sommes heureux et honorés de vous recevoir »
OLJ / Par Médéa AZOURI, le 18 août 2018 à 00h00
commentaires (9)
L'annonce "nous sommes heureux et honorés..." reste une phrase délicieuse comparativement à cet autre message, celui-ce d'avertissement: "Présentez-vous à l'aéroport 3 heures avant le décollage" nous menace gentiment le haut-parleur. Et le stress commence quand vous regardez votre montre et de découvrir qu'à votre arrivée à l’aéroport il ne vous resta que deux heures et 10 minutes avant le décollage. Notre pays a une attractivité qui relève de la magie. Personne ne peut deviner son secret. A chaque voyage au Liban je me demande qu'est-ce que je fais là, et à mon retour, je commence à guetter les occasions pour y revenir.
Shou fi
10 h 15, le 20 août 2018