La visite de la délégation des rebelles houthis dans la banlieue sud, où ils ont rencontré le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, est un coup douloureux porté à la politique de distanciation, à laquelle Saad Hariri reste attaché. Elle constitue également un message de défi au Premier ministre désigné, à l’heure où il déploie ses efforts afin de mettre sur pied un cabinet d’union nationale qui adopte cette politique.
Par-delà les détails de la visite elle-même – que ce soit au niveau de son annonce aux responsables locaux, de l’octroi des visas aux rebelles ou du moyen par lequel ils sont entrés au Liban –, c’est surtout le message politique qu’elle transmet sur le plan symbolique qui est grave. Car il s’agit en effet d’un défi frontal lancé par le Hezbollah à l’État et au peuple libanais, dans une volonté manifeste de montrer que le Liban se situe dans l’axe iranien et que la politique de distanciation n’existe pas.
La visite des rebelles houthis souhaite pousser le Premier ministre désigné à reconnaître le fait accompli, à savoir qu’il n’y a pas de politique de distanciation en pratique et que Beyrouth n’a qu’un seul choix, en l’occurrence celui de normaliser ses relations avec le régime de Bachar el-Assad et de graviter dans l’orbite iranienne, puisque, selon les dires du chef de la Brigade al-Qods, Kassem Souleimani, les élections législatives ont porté au Parlement 74 députés acquis à Téhéran.
Ce qui se produit sur la scène libanaise est en fait la traduction du bras de fer qui oppose actuellement Washington à Téhéran dans la région. Certaines parties tentent ouvertement d’amarrer le pays du Cèdre à l’étranger en fonction d’un agenda iranien. La gifle retentissante assénée une fois de plus au principe de la distanciation est un moyen de pousser vers un tel ancrage.
Cette pratique s’est répercutée sur les efforts visant à former le nouveau gouvernement, réduisant à néant la dynamique menée dans ce sens par Saad Hariri. Pour dissimuler son jeu, le Hezbollah a pointé un doigt accusateur en direction de l’Arabie saoudite, tenant Riyad responsable du retard dans la formation du cabinet.
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Pourquoi le Hezbollah a-t-il choisi ce timing pour lancer ce message ? D’abord, l’Iran utilise le Liban, contigu d’Israël, pour répondre à la campagne visant sa présence politique et militaire en Syrie. La Russie a en effet été mandatée à l’issue du sommet de Helsinki pour régler la question syrienne et mettre l’ensemble des combattants étrangers hors du territoire syrien, notamment les miliciens iraniens et pro-iraniens, comme le Hezbollah. En Irak, les négociations ont conduit à la mise en place d’une vaste alliance entre des forces politiques modérées qui ne sont pas sous la houlette iranienne et qui sont ouvertes aux pays du Golfe et à l’Arabie saoudite plus particulièrement, comme Moqtada Sadr, Ammar el-Hakim, Iyad Allawi et Haïdar Abadi. Au Yémen, une réconciliation a eu lieu entre les partisans de l’ex-président assassiné Ali Abdallah Saleh et le président Hadi Abed Rabbo aux dépens des houthis. Sans oublier les sanctions américaines et le départ de firmes géantes d’Iran pour éviter les contrecoups de ces sanctions, qui devraient atteindre leur zénith en novembre prochain, avec la mise en application de l’embargo sur la vente du pétrole iranien et les sanctions contre les sociétés et pays qui ne respecteront pas cette décision.
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D’aucuns estiment que Téhéran se devait de répondre. La boîte aux lettres express qu’il a trouvée à sa disposition est la scène libanaise, par l’intermédiaire de son extension militaire, le Hezbollah. Lors de sa dernière allocution, Hassan Nasrallah a pavé la voie aux démarches qu’il compte entreprendre à l’avenir, en redynamisant sa campagne contre l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis. Ces derniers ont aussitôt répondu rapidement, évoquant le sort de la politique de distanciation adoptée par le cabinet Hariri sous l’égide du président de la République Michel Aoun.
Les appels de pôles du 8 Mars et de ministres et cadres aounistes à la normalisation des rapports avec le régime Assad répercutent cette volonté de torpiller le principe de distanciation et de plonger le Liban dans l’orbite iranien. Or, Saad Hariri reste attaché au compromis qui a porté Michel Aoun à la présidence de la République en octobre 2016, et qui repose sur une entente régionale entre l’Arabie et l’Iran autour de la politique de distanciation et du principe d’un cabinet d’union nationale.
Des sources proches du chef de l’État rapportent que, selon ce dernier, il existe une possibilité sérieuse de former un gouvernement après le congé de l’Adha, dans la mesure où toutes les parties sont conscientes de la gravité des enjeux et de la situation. Il reste cependant que les pratiques de certains ont provoqué la chute du compromis et de l’accord de Meerab, d’où la nécessité d’un nouvel accord qui reposerait sur un renouvellement du consensus autour de la politique de distanciation et la formation d’un cabinet avant septembre, mois des échéances cruciales à tous les niveaux. Sinon, ce sera la crise, une crise dont l’issue ne sera possible qu’une fois la question syrienne réglée. Le nouveau gouvernement devra-t-il attendre si longtemps ?
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commentaires (7)
NOUVEAU CONSENSUS SUR LA DISTANCIATION... ON SE MARRE DES CITOYENS !
LA LIBRE EXPRESSION
16 h 21, le 21 août 2018