Est-ce que c’est seulement la crise économique ? Est-ce que c’est seulement la peur ? Est-ce que c’est seulement le racisme – cette peur, justement, devenue folle ? Est-ce que c’est seulement la migration ? Est-ce que c’est seulement l’égoïsme, hypertrophié jusqu’à l’écœurement ? Est-ce que c’est seulement notre propension naturelle à nous rassurer en obéissant, souvent avec plaisir, aux ordres aboyés par tel ou tel dictateur/trice ? Est-ce que c’est la fin d’un concept, essoré tant et si bien qu’il n’existe pratiquement plus : le métissage ? Est-ce le résultat naturel de ce choc des cultures et des civilisations qui secouait pourtant notre planète, sous des formes diverses et variées, des siècles avant les premiers balbutiements d’un Huntington ?
Pourquoi les extrêmes-droites, en ce IIIe millénaire déjà épuisant, sont-elles en train de se jeter sur le monde, comme la misère sur le peuple, et de prendre le pouvoir ? Pourquoi, en 2018, une imposante partie des Italiens, des Hongrois, des Américains, des Turcs, des Autrichiens, des Philippins, ou d’autres, répètent qu’ils sont satisfaits par la présence au pouvoir de l’extrême-droite – qu’elle dise, ou pas, son nom ? Pourquoi ces gens-là, et d’autres, n’hésitent plus à afficher leur appartenance, ou leur sympathie, aux partis d’extrême-droit, à dire haut, clair et fort que oui, ils sont racistes, et qu’ils aimeraient, si nous le voulons bien, nous en expliquer les raisons jusqu’à ce que l’on soit convaincus ? Et pourquoi les Brésiliens viennent de leur emboîter le pas ?
Les Brésiliens… Dans l’imaginaire collectif des Terriens, c’était presque le dernier bastion contre l’extrême-droite : son immensité, sa démographie, sa capacité à absorber, surtout depuis le XVIe siècle, cent et une diasporas venues de tous les continents, son soleil, ses plages, sa dolce vita, son carnaval, ses Blancs, ses Noirs, ses métis, ses Amérindiens, sa musique, tout, absolument tout, faisait de ce pays le creuset idéal pour le multiculturalisme, l’épitomé du brassage, la Maison-mère de tous les métissages. En élisant le candidat de l’extrême-droite Jair Bolsonaro à la présidence d’une République certes minée par la crise et les corruptions, les Brésiliens viennent de modifier génétiquement l’être-au-monde de leur pays, et son image. Et dire que c’est un homme d’origine libanaise qui aurait pu empêcher cela…
Qu’est-ce qui s’est passé pour que le monde s’automutile à ce point ? Quelque chose s’est cassé, bien sûr : comme si, les uns après les autres, lentement mais surement, les ponts implosaient, au fur et à mesure que les murs s’épaississaient. Est-ce que nous sommes trop nombreux sur une Terre qui ne peut plus rien pour nous ? Est-ce qu’il faut un nouvel Hitler pour que nous nous regardions de nouveau, pour que nous nous prenions la main de nouveau, pour que nous relisions Rimbaud de nouveau ? Ou alors c’est notre évolution naturelle, une espèce de mutation génétique, ou peut-être même un virus, qui nous pousse, nous humains, à nous enfermer dans un entre-nous confortable et encore une fois rassurant, certes, mais finalement tellement stérile ?
Peut-être que nous y sommes : tout produit a une espèce de date de péremption. Tout concept aussi. Sans doute approchons-nous de la fin de la validité de ce que l’on appelle encore la coexistence. La convivialité. L’acceptation de l’autre. L’intersection. Notre capacité à nous émerveiller. Le tourisme – dans ce qu’il a de plus noble. Peut-être que le monde dans lequel nous (sur)vivons et que nous allons laisser à nos descendances ne sera qu’une infinie kyrielle, métastasée, de bunkers qui se côtoient en regardent, ostensiblement, dans des directions opposées.
Ces brûlures au troisième degré sont plus dangereuses pour notre planète que n’importe quel réchauffement climatique.
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Dans un pays dont les dirigeants préfèrent l’étranger à l’autochtone, le meilleur marché au plus cher, l’analphabète au lettré, le facile au difficile, même la plus forte, la plus intelligente, la plus merveilleuse femme au monde entier doit s’incliner. Je parle de l’Allemagne, vous parlez du Brésil. Devant tant d’acharmement par les « gentils » qui oublient que de puiser dans la caisse sans vraiment en avoir droit, est un »péché », quand les riches se cachent dans les vêtements du pauvre, quand les gouvernements de « gauche » sont gauches à force de vouloir aider les moins pauvres, et crient qu’ils aident les miséreux, ils pensent que les peuples sont « stupides », et les dieux, eux-mêmes, contre ceux-ci, luttent en vain. Ils ont déjà perdu. Asimov parlait de stupidité, de science-fiction. Nous le vivons aujourd’hui; il n’avait pas tout à fait tord. Saint Georges s’est battu contre un dragon, pour sauver la princesse de Beyrouth. Prions qu’il revienne, Beyrouth crève. Et pas sous l’emprise d’un seul dragon. Attention, nous avons six millions de Libanais de souche au Brésil, ils pourraient passer la contagion au Liban.
Evariste
00 h 03, le 30 octobre 2018