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La Consolidation de la paix au Liban - Décembre 2018

Le sport peut-il aider les Libanais à s’unifier ? (1)


© Illstration par Abdo Sawma

Au lendemain de la guerre civile libanaise de 1975-1990, le discours officiel du projet d’édification de l’État était caractérisé par des « dispositions fondamentales-clés », qui ont témoigné de l’aspiration de passer du statut des « mini-États » à celui de « l’État ». Au nombre des dispositions considérées comme le tremplin pour la reconstruction de l’État figure la « consolidation de l’unité nationale ». Presque deux décennies plus tard, les institutions officielles et l’élite nationale ont échoué à nourrir un sentiment d’appartenance sociétale à une nation. On dit que les Libanais retournent à leurs identités primordiales, dans la mesure où les communautés religieuses agissent comme intermédiaires entre l’État et la société. Mais ce n’est qu’une partie de l’histoire. Il y a certains domaines – comme le sport qui peut constituer un moyen vital pour exprimer et redéfinir les identités et les objectifs – où les Libanais ont tendance à imaginer une nation rebelle au milieu du soi-disant effondrement ou désintégration de l’État et un sentiment d’identification et d’appartenance nationale ébranlé. Tel a été le cas lorsque les Libanais ont failli se qualifier à la Coupe du monde du Brésil en 2014.

Football, nationalisme et sectarisme

On ne peut pas considérer le sport comme un simple domaine isolé d’amusement, de divertissement et de distraction. Il peut aussi servir à explorer des questions relatives au nationalisme et à l’édification de la nation-État. Il est aussi directement impliqué dans les projets d’édification de l’État.

La littérature abondante sur le sport au Liban montre que la majorité des clubs sont dotés d’une identité sectaire, ou du moins, sont identifiés suivant leur affiliation sectaire. Dans ce contexte, le football dans le Liban d’après-guerre a servi d’outil pour renouveler et dupliquer les dynamiques du système politique sectaire dans le pays. Par conséquent, la politique du sport a directement contribué à la désintégration nationale et au manque d’unité nationale.

Mais le sport ne doit pas strictement prendre en considération la politique, ou la façon dont les clubs sont gérés et les fédérations dirigées. Il doit aussi se pencher sur la manière dont le citoyen lambda réagit avec les victoires nationales et contribue du bas de la pyramide où il se trouve à imaginer un Liban uni et défiant.


Le Liban : une nation forte et battante

Avec le coup d’envoi des tours de qualification de la Coupe du monde 2014, l’équipe libanaise était, pour de nombreuses personnes, un cas désespéré. Cela était dû en partie à l’absence d’une infrastructure suffisante et d’une Fédération puissante et fonctionnelle, ainsi qu’au manque de soutien populaire, puisqu’il était interdit d’assister aux matches par peur des incidents sectaires, d’autant que la Fédération de football était hautement politisée. Toutefois, l’équipe libanaise a amélioré ses performances au fil des jours, marquant des victoires contre les plus fortes équipes en Asie, y compris la Corée du Sud, l’Iran et le Koweït. Comme l’équipe commençait à gagner, elle a acquis l’attention de l’opinion publique, la détournant de l’ambiance qui prévalait dans le pays, au nombre desquels figurent le blocage politique et les conflits dans les rues. La victoire de l’équipe nationale contre la Corée du Sud, à titre d’exemple, a été considérée comme le seul événement qui a réuni efficacement les gens dans un Liban divisé, indépendamment de leurs milieux confessionnels. Comme les victoires se succédaient, un Liban battant pouvait être imaginé.

Au tour final et décisif des qualifications de la Coupe du monde de la FIFA, le Liban jouait dans le groupe A qui incluait l’Ouzbékistan, la Corée du Sud et d’une manière plus significative le Qatar et l’Iran. Ces deux derniers pays sont connus pour avoir des intérêts directs sur la scène politique libanaise. Le fait de jouer contre ces deux équipes a permis au citoyen libanais lambda de se sentir libéré de leur influence.

Ces matches sont devenus l’expression d’une « nation imaginée », qui peut être forte, défendre ses droits et jouer contre d’autres pays puissants au lieu de se plier à leurs lois. Lors du match contre le Qatar, un Libanais a porté un grand ballon en forme de banane (mawza en arabe) afin de ridiculiser la femme de l’émir Qatari, cheikha Moza. En d’autres termes, le football apporte un sens de connexité à travers lequel les Libanais s’affirment sur un plan régional. La ferveur nationale et le patriotisme étaient tout aussi palpables durant le match du Liban contre l’Iran.

Un autre bon exemple reste celui de la nuit qui a suivi, à Beyrouth, la victoire du Liban contre l’Iran. Un journaliste sportif a récité à la télévision le poème suivant à la gloire du Liban :



Nous rentrons déterminés… infatigables

Tel un phénix, nous retournons de sous les

Décombres, de sous les débris…

Les héros du Cèdre

Rentrent le jour de la victoire, le jour de la gloire.


En effet, le pays qui utilise souvent les bougies pour éclairer

A vaincu l’Iran où le secteur de l’énergie est à son apogée

Il a vaincu ses réacteurs nucléaires

Le pays dont les fils aspirent à la lumière d’une lampe

Est devenu champion, au détriment de l’Iran

Et dans deux ans, vous pourriez le voir au pays de la samba


Dans ce poème, le Liban paraît fier (nous rentrons déterminés, infatigables), malgré ses ressources limitées (de sous les décombres, de sous les débris) qui affectent la vie quotidienne du peuple libanais (qui utilise souvent les bougies pour s’éclairer). Ce qui est encore plus important, c’est que le caractère battant du Liban a émergé face à un Iran puissant (dont le secteur de l’énergie est à son apogée), qui a joué un rôle important dans la politique libanaise, notamment avec son appui inconditionnel au Hezbollah. Le poème se conclut sur une note d’espoir, souhaitant de voir le Liban jouer au pays de la samba, c’est-à-dire le Brésil, où la Coupe du monde 2014 a été organisée. Ce vers fait aussi écho à un mythe relatif à l’image du marchand libanais astucieux qu’on rencontre aux quatre coins de la planète. Le mythe avait promis qu’une fois qualifié, le Liban jouera sur son propre sol, c’est-à-dire le sol brésilien, comme il est signalé dans le poème. En fait, la plus grande et la plus vieille communauté libanaise de l’étranger se trouve au Brésil. De ce fait, le soutien à l’équipe nationale sera apporté par le peuple libanais du Liban et de la diaspora.

Cette expérience en fait ne suggère pas que le sectarisme n’est pas important au Liban. Il s’agit plutôt d’une importante leçon pour les chercheurs, les observateurs et les journalistes pour mettre l’accent sur les différents secteurs dans lesquels le peuple libanais peut rendre la variante sectaire fade, futile et anachronique.

* Chercheur


(1) Cet article est le résumé d’un article plus long de l’auteur, qui peut être consulté à l’adresse : https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/19436149.2018.1485301


Les articles, enquêtes, entrevues et autres, rapportés dans ce supplément n’expriment pas nécessairement l’avis du Programme des Nations Unies pour le développement, ni celui de L'Orient-Le Jour, et ne reflètent pas le point de vue du Pnud ou de L'Orient-Le Jour. Les auteurs des articles assument seuls la responsabilité de la teneur de leur contribution.




Can Sports Help the Lebanese Get Unified?


In the wake of the 1975-1990 Lebanese civil war, the official discourse of the state-building project was characterized by key «fundamental provisions», which demonstrate the aspirations of moving from «mini-states» to a «state». Among the provisions regarded as the springboard for the state reconstruction process figure the «consolidation of the National Unity». Almost, two decades later, state institutions and national elite failed to nourish a sense of societal belonging to a nation. The Lebanese are said to revert to their primordial identities to the extent that the religious communities act as the intermediaries between the state and the society. But this is only part of the story. There are some arenas – like sports that can act a vital medium to express and reformulate identities and meanings – where the Lebanese tend to imagine a defiant nation amidst the so-called breakdown or disintegration of the state and flailing national identification and belonging. This is the case when Lebanese almost got qualified to the Brazil 2014 World Cup. 


Football, Nationalism and Sectarianism

Sports cannot be looked at simply as an isolated domain of fun, entertainment and distraction. They also can serve to explore questions of nationalism and nation-state building and are directly implicated in nation-building projects.

The growing literature on sports in Lebanon sheds light on how almost all the clubs have a certain sectarian identity, or to say the least, are identified according to their sectarian affiliation. From this perspective, football in post-war Lebanon has been a tool to renew and duplicate the dynamics of the sectarian political system in Lebanon. Therefore, the politics of sport did contribute directly to national disintegration and lack of national unity.

But sports should not strictly look at how the politics from above, or how clubs are managed, and federations are run. They should also tackle how normal citizens respond to national victories and how they contribute from below to imagine a united and defiant Lebanon.

Lebanon: A Strong and Defiant Nation

With the kick-off of the qualifying rounds to the 2014 World Cup, the Lebanese team was for many a hopeless case. This was partially due to the absence of sufficient infrastructure and a powerful and functional league as well as the lack of popular support from the audience due to the prohibition of people attending games for fear of sectarian clashes and as a result of a highly politicized Football Association. However, the Lebanese national team improved its performance day after day, scoring victories against the strongest teams in Asia including South Korea, Iran and Kuwait. As the team began to win, it acquired attention from public opinion, turning it away from the backdrop of what was happening in the country including political deadlock and clashes on the street. The victory of the national team against South Korea, for instance, was described as the only event that effectively united the people in a divided Lebanon, irrespective of their sectarian background. As the victories unfolded, a defiant Lebanon began to be imagined.

In the final and decisive round of the FIFA World Cup qualification, Lebanon was competing in Group A, which included Uzbekistan, South Korea, and most significantly Qatar and Iran. The latter two countries are known for having direct interests in the Lebanese political scene. Competing against both teams the normal Lebanese citizens felt liberated from this influence.

These games became an expression of an ‘imagined nation,’ which can be strong, defend its rights, and compete with other powerful countries instead of yielding to their rules. During the match against Qatar, one Lebanese fan held a big ‘banana’ balloon [mawza in Arabic] in order to ridicule the Qatari Emir’s wife, Sheika Moza. In other words, football provided a sense of connectedness through which the Lebanese people asserted themselves on a regional level. National fervor and patriotism similarly were conspicuous during Lebanon’s match against Iran.

Another case in point is the night following Lebanon’s victory against Iran in Beirut, a sports TV anchorman recited a poem to praise Lebanon.


The poem reads:

We return full of will… relentless

Like a phoenix we return from under the

rubble, from under the debris…

the cedar heroes have

Returned on the day of victory, on the day of glory.

Indeed, the country that uses candles the most

Won over Iran whose power is utmost,

Over its nuclear reactor

The country whose sons long to the light of a lamp

To the detriment of Iran has become a champ

And in two years you might see it in the Samba land


The poem made Lebanon appear proud (‘we return full of will, relentless’) despite its limited resources (‘under the rubble, from under the debris’), which affected the daily lives of the Lebanese people (‘uses the candles the most’). Most importantly, the defiant character of Lebanon emerged facing the powerful Iran (‘whose power is utmost’), which played a major role in Lebanon’s politics specifically with its unconditional support of Hezbollah. While the poem concluded hoping to see Lebanon playing in the Samba land, meaning Brazil, where the 2014 World Cup was hosted, this line also echoed a myth related to the figure of the savvy Lebanese merchant found in different corners of the world. The myth promised that, once qualified, Lebanon would be ‘playing’ on its own ground that is the Brazilian ground, as the poem also said. In fact, Lebanon’s largest and oldest immigrant community is found in Brazil. Therefore, the support for the national team came from both the Lebanese people who lived in Lebanon and the diaspora.

This experience, indeed, does not suggest that sectarianism is not important in Lebanon. Instead, it is an important lesson for researchers, pundits and journalists to shed light on different areas where the Lebanese people have the chance to render the sectarian variable almost dull, meaningless and anachronistic.


* Researcher


(1)This article is a summary of a longer article by the author: https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/19436149.2018.1485301


The articles, interviews and other information mentioned in this supplement do not necessarily reflect the views of the United Nations Development Programme nor of L'Orient-Le Jour. The content of the articles is the sole responsibility of the authors.

Au lendemain de la guerre civile libanaise de 1975-1990, le discours officiel du projet d’édification de l’État était caractérisé par des « dispositions fondamentales-clés », qui ont témoigné de l’aspiration de passer du statut des « mini-États » à celui de « l’État ». Au nombre des dispositions considérées comme le tremplin pour la reconstruction de l’État figure la...

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