Cela fait des décennies que les Libanais demandent au Hezbollah de se libaniser. Cela fait des décennies que le Hezbollah se moque de la grande majorité des Libanais. Et en lançant tout récemment sa croisade contre l’ancien Premier ministre Fouad Siniora dans le cadre de sa volonté affichée tous azimuts – beaucoup plus show off et bling bling qu’autre chose – de lutter contre la corruption, le Hezb est passé à la vitesse supérieure : là, il prend définitivement les Libanais pour d’incurables crétins.
Ce n’est plus l’hôpital qui se fout de la charité, c’est un dispensaire au fin fond de l’Amazonie qui fait un doigt d’honneur à l’Organisation mondiale de la santé. Parce que le tableau de déshonneur du Hezbollah, truffé d’accusations et de soupçons en tout genre, est long comme un jour sans chocolat : la liste des attentats hors du Liban depuis 1990 dans lesquels le Hezb serait impliqué est interminable ; les trafics de drogues seraient devenus une des principales sources de revenus pour le parti, qui lèverait des centaines de millions de dollars en Amérique latine, dans la zone de la triple frontière entre le Brésil, l’Argentine et le Paraguay, mais aussi en Afrique de l’Ouest, sans compter les soupçons de trafic de diamants, la contrebande de cigarette ou les escroqueries par cartes de crédit… Naturellement, il n’y a aucune preuve tangible, aucun arrêté de cour de justice, qui condamnerait sans équivoque le Hezb à tous ces niveaux – en attendant néanmoins que le TSL rende bientôt son jugement à l’encontre de quatre hommes, tous membres présumés du Hezbollah, soupçonnés d’être à l’origine de l’assassinat de Rafic Hariri le 14 février 2005. Mais il n’y a jamais de fumée sans feu, et là ce n’est plus de fumée qu’il s’agit, mais d’une infinie nappe de brouillard.
Indépendamment de ses qualités d’homme d’État auxquelles personne, dans l’histoire immédiate du Liban, ne peut prétendre, Fouad Siniora pourrait, comme tant, comme tellement d’autres hommes politiques libanais, être coupable de corruption. Mais seule une justice indépendante et pugnace serait à même de le dire et de le prouver – et sûrement pas un parti hypocrite sur lequel pèsent des douzaines d’accusations. Et c’est encore moins à ce même parti de s’autoproclamer fer de la lance de cette indispensable, de cette urgente lutte contre la corruption. Surtout qu’il vient à peine de finir ses combats pour protéger la barbarie du gang Assad. Surtout qu’il vient pour la première fois d’exiger un ministère de services, et pas n’importe lequel : celui de la Santé.
Oui, les ministres hezbollahis qui se sont succédé au gouvernement ont tous fait, Hussein Hajj Hassan en tête, plus ou moins un très bon travail. Mais ce n’est pas ainsi que le parti de Dieu va se libaniser.
Un rapide retour sur l’implication crescendo du Hezb dans la praxis politique libanaise n’aide pas non plus – loin de là. En participant pour la première fois aux législatives en 1992, le Hezbollah, qui ne cachait pas sa haine et son mépris absolus pour l’accord de Taëf conclu deux ans auparavant, entendait avant toute chose asseoir son autorité au sein de sa communauté, et saper autant que faire se peut le monopole du mouvement Amal de Nabih Berry. En entrant pour la première fois au gouvernement en 2005, le Hezb avait en tête de ronger autant qu’il le pouvait la souveraineté du Liban, et de mettre l’exécutif devant les faits accomplis, voire essayer de le terroriser avec son arsenal militaire – épée de Damoclès – la guerre décidée unilatéralement contre Israël en juillet 2006 et l’anschluss de Beyrouth et de la Montagne en 2008 confirmeront davantage la stratégie de Hassan Nasrallah. Ensuite, en signant avec Michel Aoun et son CPL le document de Mar Mikhaël en février 2006, le Hezb trouvait pour la première fois une sorte de dimension et de caution nationales – mais tout cela ressemblait plus à un immense rictus, armé jusqu’aux dents, asséné à la face des sunnites, des druzes et des chrétiens non aounistes.
Ce n’est assurément pas ainsi que le Hezbollah va se libaniser.
Hassan Nasrallah aura beau – mais c’est déjà ça… – avoir juré en 2009 reconnaître enfin « officiellement la formule libanaise, et la richesse de la diversité religieuse et sociale qui caractérise notre société », sans que cela n’empêche le Hezb d’interdire, entre autres initiatives inacceptables, la vente d’alcool dans plusieurs régions qu’il contrôle, son parti n’a toujours aucune libanitude volontairement décidée et assumée. Parce que se libaniser équivaut tout d’abord à renoncer à incarner le bras armé de l’Iran, son agenda et son vilayet el-faqih dans le bassin méditerranéen. Cela équivaut à renoncer donc, dans l’esprit et dans la lettre, au concept milicien, à livrer son arsenal à la troupe, à reconnaître le principe de l’État, sa primauté, sa souveraineté, son prestige, son autorité. Cela équivaut, bien sûr, à renoncer à toute forme de mercenariat possible et imaginable en Syrie, au Yémen, en Irak, peu importe. Cela équivaut à renoncer à cette arrogance gigantesque et ce sentiment d’impunité divine qui a contaminé l’ensemble des partisans du Hezb ; cela équivaut, c’est-à-dire, à reconsacrer l’égalité entre tous les citoyens libanais – sans elle, sans cette égalité, il n’y aura plus jamais de coexistence, encore moins de convivialité entre les différentes communautés qui (dé)font la mosaïque libanaise. Cela équivaut donc, pour le Hezbollah, à génétiquement modifier son ADN.
Il n’y a pas de Hezbollah branche politique et de Hezbollah branche militaire. Il y a un Hezbollah qui n’est fondamentalement pas près de se libaniser. Et ces gesticulations, cette façon hystérique, tout récemment, de gigoter, index levés et menaçants à l’appui, ne leurreront personne : aussi libanais que soit l’ensemble de ses membres, et ils le sont profondément, leur parti ne se libanisera que lorsqu’ils auront enfin compris que le Liban est, forcément et férocement, leur unique patrie. Définitive.
commentaires (13)
"qu'en termes concis les choses sont bien dites". Il est indiscutable que le hezbollah est un parti de la pensée unique autour d'un leader unique.je me permet d'apporter une petite correction: le hezbollah a été condamné par plusieurs juridictions. le Koweit, l'Egypte, La Bulgarie,Chypre, L'Argentine et j'en oublie surement. il y a de lourds soupçons sur son implication dans l'assassinat d'opposants au régime Iranien en Europe. la toute récente rupture diplomatique entre les Pays-Bas et l'Iran et l'arrêt du distinguo politique-militaire de la GB ne sont probablement qu'un début. la presence du Hezbollah a Ciudad del este n'est plus a prouver. (confluent entre le Brésil, l'argentine et le Paraguay à laquelle l'article fait allusion sans la nommer). tout comme il n'est plus besoin de prouver que cette ville est la plaque tournante du trafic de drogue en AmSud
Lebinlon
11 h 28, le 05 mars 2019