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Culture - L’artiste de la semaine

Zeina Abirached, une touche hors champ

L’auteure du « Piano oriental » (Casterman), Prix Phénix de littérature 2015 et Sélection officielle du Festival d’Angoulême 2016, est actuellement au Liban, où elle va donner, avec Stéphane Tsapis au piano, plusieurs représentations adaptées de sa bande dessinée.

« Je n’ai pas l’impression d’avoir quitté le Liban, je me sens toujours d’ici, je reviens très régulièrement et ça me fait un bien fou. » DR

Invitée dans le cadre du Mois de la francophonie dont le thème est cette année « Au féminin ! », Zeina Abirached n’est cette fois-ci pas rentrée seule au bercail : elle est escortée par le pianiste français Stéphane Tsapis. À peine quelque mois après la sortie du Piano oriental en 2015, les deux artistes ont collaboré à la création d’une adaptation musicale de la bande dessinée : « Plutôt que de faire une lecture ou montrer les images, j’ai eu envie de faire entendre ce quart de ton dont je parle dans l’ouvrage, indique Abirached. Stéphane et moi avons alors conçu un spectacle de 50 minutes dans lequel je raconte l’histoire, avec des moments où je dessine en direct pendant que lui m’accompagne au piano. Il a composé 12 morceaux spécialement pour le spectacle. L’idée, c’est vraiment de narrer la BD à travers texte, dessin et musique. » Cette volonté d’hybridation sémiotique, de métissage entre dessin et musique, c’est peut-être la caractéristique principale du Piano oriental : par un subtil jeu dans lequel elle travaille les codes de la BD, Zeina Abirached parvient à pleinement intégrer la dimension musicale par le biais du visuel, une performance artistique particulièrement heureuse dans le cadre de cette histoire qui raconte comment son grand-père est parvenu à intégrer le quart de ton, si caractéristique de la musique orientale dans les pianos droits... « Dès l’origine, j’avais ce désir de dessiner la musique et de transmettre visuellement le son. En fait, c’est le son qui est le personnage principal dans le Piano oriental, explique-t-elle avant d’annoncer une grande première : « Le 22 mars à l’Institut français de Beyrouth, on jouera sur le piano original créé par mon arrière-grand-père, et ce pour la toute première fois. »

« Je ne dessine pas la guerre, je la raconte en creux »

Aujourd’hui, Zeina Abirached a 38 ans. Voilà 15 ans qu’elle a quitté le Liban pour la France, où elle était partie en 2004 à la recherche d’un éditeur. Elle se souvient de cette époque qu’elle raconte dans le Piano oriental, quand sa vie a basculé : « À 23 ans, quand je me suis installée en France, j’ai pris conscience de mon bilinguisme. Il a fallu trier mes deux langues. » Les langues arabe et française, avec celles du dessin et de la musique, autant de composantes qui définissent cette femme débordante de vie pour qui « la joie est un carburant » et qui aime, en riant, citer Etel Adnan : « Un jour, un journaliste lui a demandé : “Pourquoi n’avez-vous jamais écrit en arabe ?”. Elle a alors eu cette très jolie réponse : “J’écris en français ou en anglais, mais je dessine en arabe”. »

Le dessin, une langue universelle qu’explore d’ailleurs Zeina Abirached sous divers aspects : illustratrice professionnelle, elle a entre autres dessiné pour les éditions 10/18 et Cambourakis des couvertures de livre, des livres de cuisine, des affiches de festival, et elle a même fait le livret intérieur du dernier album du trompettiste Ibrahim Maalouf. À cet égard, quand on pense à la trompette modifiée du musicien, on se demande si c’est une manie chez les artistes libanais de chercher le quart de ton. Elle s’amusera, répondant en riant : « Ibrahim m’a avoué qu’on lui avait offert six fois le Piano oriental ! »En parallèle à cette mélomanie, les mots ont une place de choix chez l’auteure de Mourir, partir, revenir – Le jeu des hirondelles (2007). « J’ai quasiment appris à lire avec Tintin, Astérix et Gaston Lagaffe qui traînaient chez me parents », dit-elle. Comme pour beaucoup, c’est au lycée qu’elle découvre la littérature : « J’étais au Collège Notre-Dame de Jamhour et j’avais un superprof de français ; j’ai découvert Boris Vian, Raymond Queneau, Georges Perec… Surtout Perec, c’est un auteur que j’ai beaucoup lu, la description de l’espace, le rapport à la trace, le passage du temps qu’on trouve dans ses livres, ce sont des thèmes que j’affectionne particulièrement. »

En effet, en parlant avec cette femme rieuse, naturelle, bandeau fleuri sur les cheveux et bagues à l’orientale sur les doigts, on se rend rapidement compte que les mots « territoire », « espace », « lieu », « endroit » reviennent en permanence … Alors forcément, quand on lui demande ce qu’elle garde de ses vingt-trois premières années vécues au Liban entre 1981 et 2004, elle répond : « J’en retiens le rapport à l’espace et au territoire. Jusqu’à mes 10 ans, la guerre faisait qu’on vivait dans une demi-ville. Du jour au lendemain, il n’y avait plus de démarcations : c’est ouvert devant moi un champ des possibles. J’ai découvert Hamra, la Corniche, à ce moment-là. Ce n’est pas anodin si ma première BD parle de ça, de cet espace qui rétrécit et tout d’un coup s’ouvre sur l’ensemble de la ville. » Cette première BD, c’est [Beyrouth] Catharsis, publiée en 2006 chez Cambourakis et qu’elle dessine alors qu’elle est encore étudiante à l’ALBA (Académie libanaise des beaux-arts). « Dans les années 2000, j’ai ressenti une urgence totale : il fallait que je raconte la rue dans laquelle j’avais grandi, la rue Youssef Semaani, qui avait la particularité d’être barrée par un mur de sac de sable pour nous protéger des tirs des francs-tireurs. Au moment de la reconstruction, le Beyrouth que j’avais connu jusque-là était en train de disparaître sans crier gare. J’ai senti l’urgence de fixer cette période de ma vie et de ma ville par l’écriture et le dessin. » En attendant, et si Beyrouth ne cesse de changer de visage, Zeina Abirached n’a pas l’intention de cesser de composer sa vie entre Paris et l’Orient, pour le plus grand bonheur des amateurs français et libanais de planches et de vignettes.

* « Le Piano oriental », par Zeina Abirached, sera présenté ce mercredi soir au Centre culturel Safadi de Tripoli, puis vendredi 22 mars à la salle Montaigne de l’Institut français de Beyrouth à 20h; et samedi 23 mars à Saïda au Musée du savon, Fondation Audi, à 18h.

1981

Naissance au Liban, en pleine guerre civile.

1991

La guerre est terminée, découverte de l’autre moitié du visage de Beyrouth.

2004

Départ pour la France, à Paris où elle réside toujours.

2006

Publication de sa première BD,

« [Beyrouth] Catharsis » (éditions Cambourakis).

2007

Publication de « Mourir, partir, revenir – Le jeu des hirondelles » (Cambourakis), sélection officielle du Festival d’Angoulême 2008, sélection du Prix Artémisia 2008.

2015

Changement d’éditeur pour la publication de « Piano oriental » (Casterman), Prix Phénix de littérature, sélection officielle du Festival d’Angoulême 2016.

2018

Elle collabore avec Mathias Énard (Prix Goncourt 2015) pour la BD

« Prendre refuge » (Casterman).




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Invitée dans le cadre du Mois de la francophonie dont le thème est cette année « Au féminin ! », Zeina Abirached n’est cette fois-ci pas rentrée seule au bercail : elle est escortée par le pianiste français Stéphane Tsapis. À peine quelque mois après la sortie du Piano oriental en 2015, les deux artistes ont collaboré à la création d’une adaptation musicale de la...

commentaires (1)

Pour moi c'est une découverte très agréable. Bravo pour son art et son patriotisme, en plus merci pour son très beau sourire, Zeina Abirached. Lui souhaitant beaucoup de réussites.

Sarkis Serge Tateossian

12 h 52, le 20 mars 2019

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Commentaires (1)

  • Pour moi c'est une découverte très agréable. Bravo pour son art et son patriotisme, en plus merci pour son très beau sourire, Zeina Abirached. Lui souhaitant beaucoup de réussites.

    Sarkis Serge Tateossian

    12 h 52, le 20 mars 2019

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