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Bourbon ou vodka ?

Commençons plutôt par le scotch. Dans une lettre ouverte qu’il adressait en 1917 à lord Rothschild, un des piliers financiers du sionisme, le secrétaire au Foreign Office Arthur Balfour l’informait que le gouvernement de Sa Majesté était favorable à l’établissement en Palestine d’un foyer national juif. Posant un jalon décisif sur la voie de la création d’Israël, l’Angleterre disposait ainsi, à son gré, d’un bien qu’elle ne possédait pas.

Plus d’un siècle plus tard, c’est exactement ce que vient de faire Donald Trump en concédant souverainement à l’État hébreu la propriété des hauteurs syriennes du Golan occupées en 1967 : princier cadeau offert à un Benjamin Netanyahu poursuivi pour corruption et qui doit livrer bientôt une bataille électorale en tout point décisive. Toujours est-il qu’après transfert de son ambassade de Tel-Aviv à Jérusalem, l’administration US endosse clairement la fallacieuse légitimité que confère aux conquêtes territoriales l’implacable passage des ans. Pour tenter de justifier une mesure visiblement appelée à exacerber les tensions, elle trouve moyen d’invoquer… l’impératif de stabilité au Moyen-Orient. Elle fait table rase enfin d’une masse de résolutions onusiennes et d’une longue tradition diplomatique américaine : le pire restant encore à craindre pour le sort que réserve à la Cisjordanie le marché du siècle concocté par le fantasque président…


C’est dire que l’actuelle tournée du secrétaire d’État Mike Pompeo, arrivé hier à Beyrouth venant de Koweït et d’Israël, ne se déroule guère sous les meilleurs auspices. Au niveau régional, c’est évidemment avec une sincère conviction que les responsables libanais se seront associés à la tempête de protestations soulevée par la dernière outrance de Trump. Mais qui songe seulement à (se) demander ce qu’a fait de concret le régime baassiste de Damas, ces 52 dernières années, pour libérer un terrain stratégique réputé inexpugnable, sinon s’appliquer à embraser la frontière libano-israélienne ?

Au plan des relations bilatérales, l’État libanais donne l’impression de chercher à jouer au plus fin avec une Amérique résolue, certes, à l’embrigader dans son entreprise d’endiguement de l’Iran, mais dont il escompte qu’elle finira par prendre en compte la situation impossible dans laquelle il se trouve. Les États-Unis, veut-on croire, ont peu d’intérêt eux-mêmes à déstabiliser et ruiner le Liban, ou alors à le jeter plus fermement encore dans les bras de Téhéran.


Archiconnu est le discours officiel libanais qui a été resservi à satiété hier aux oreilles de Mike Pompeo : à savoir que le Hezbollah est une formation politique libanaise, non terroriste mais résistante, dotée d’une grande assise populaire, siégeant au Parlement comme au gouvernement, et que c’est le pays dans son ensemble qu’affectent les sanctions américaines visant ce parti. Non moins sujettes à caution sont d’ailleurs les assurances du ministre des AE Gebran Bassil quant à la stricte observation par le Liban de la résolution 1701 de l’ONU prohibant toute présence milicienne à la frontière sud.


Déjà contesté par une bonne partie des Libanais eux-mêmes, tout cet argumentaire n’avait aucune chance toutefois de convaincre l’émissaire américain. Bien au contraire, celui-ci a clairement sommé les Libanais de choisir leur camp. Mais comment notre pays, tout confiant qu’il puisse être en son étoile, pourrait-il choisir entre deux formes de suicide, entre asphyxie économique et guerre civile ? De pousser un flirt avec Moscou, où se rend dans quelques jours le président Aoun, peut-il pour le moins conforter quelque peu notre position par ailleurs ?


Les inextricables dilemmes d’aujourd’hui ne sont en définitive que le résultat de tous les inhibitions, erreurs et faux-fuyants accumulés, des années durant, par une classe dirigeante sinistrement experte dans l’art d’occulter les problèmes. Plutôt que de bourbon du Kentucky ou de vodka russe, c’est de plans tirés sur la comète que préfère encore se griser la République.


Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

Commençons plutôt par le scotch. Dans une lettre ouverte qu’il adressait en 1917 à lord Rothschild, un des piliers financiers du sionisme, le secrétaire au Foreign Office Arthur Balfour l’informait que le gouvernement de Sa Majesté était favorable à l’établissement en Palestine d’un foyer national juif. Posant un jalon décisif sur la voie de la création d’Israël,...